En mai dernier, la Cour suprême des États-Unis a fait savoir dune manière non
équivoque aux éducateurs et au public américains que les écoles financées par les
fonds publics doivent lutter contre le harcèlement sexuel entre élèves.
Larrêt de la Cour porte sur le cas dune jeune élève connue sous le nom
de LaShonda D. et dun de ses camarades de classe de 5e année, G.F., qui
fréquentaient une école publique du comté de Monroe, en Géorgie. Sur une période
denviron un an, G.F. a tenté de toucher les seins et la région génitale de
LaShonda, lui a adressé des remarques vulgaires de nature sexuelle et sest frotté
contre elle de façon suggestive dans le couloir de lécole. LaShonda a fait part de
chacun de ces incidents à sa mère, à plusieurs enseignantes et enseignants et au
directeur de lécole.
Comme on pouvait sy attendre, LaShonda a souffert de ce harcèlement constant de
la part de G.F. Son rendement scolaire, auparavant très bon, sest détérioré, car
elle était devenue incapable de se concentrer sur ses études. Son père a découvert,
vers la fin de la période de harcèlement, une note de suicide quelle avait
écrite, et elle a même confié à son entourage quelle ne savait pas pendant
encore combien de temps elle pourrait tenir le jeune homme à distance.
Bien que sa mauvaise conduite ait été signalée, le garçon na fait
lobjet daucune mesure disciplinaire, et rien na été fait pour le
séparer de LaShonda. En outre, pendant la période en question, le conseil scolaire du
comté de Monroe navait pas de politique claire sur le harcèlement sexuel entre
élèves, et navait pas conseillé ses enseignantes et enseignants ni ses
directrices et directeurs décole à ce sujet. De toute évidence, le conseil
scolaire, le directeur décole et le personnel enseignant étaient indifférents au
harcèlement que subissait la jeune fille.
Finalement, la mère de LaShonda a porté plainte auprès du shérif du comté; le
garçon a été inculpé dagression sexuelle et, plus tard, a plaidé coupable.
PASSIBLE DE DOMMAGES-INTÉRÊTS
La Cour suprême des États-Unis a conclu quaux termes dune loi fédérale
anti-discrimination appelée Title IX of the Education Amendments of 1972, le conseil
scolaire peut être passible de dommages-intérêts en cas de harcèlement entre élèves
dans les écoles financées par les fonds publics.
Sexprimant au nom de la majorité, la juge Sandra Day OConnor a mentionné
que le conseil peut être tenu de payer des dommages-intérêts sil est
«indifférent à un cas de harcèlement dont il a été informé et qui est si grave,
intense et objectivement répréhensible quon peut considérer quil prive la
victime de laccès aux possibilités déducation quoffre
lécole».
Cependant, le conseil scolaire ne sera probablement pas tenu responsable sil
nest pas du tout au courant de la situation, si son personnel nen est pas
informé ou sil réagit dune façon qui, de toute évidence, nest pas
déraisonnable. En effet, lorsque les administrateurs scolaires prennent des mesures
disciplinaires, la Cour recommande explicitement aux tribunaux de ne les reconsidérer
quavec prudence. Pour éviter que ne se présentent des situations absurdes, la juge
OConnor précise : «À lécole, les élèves sinsultent, plaisantent,
sagacent, se poussent et adoptent des comportements typiques de leur sexe qui
dérangent les élèves qui en sont victimes. Cependant, se faire agacer et injurier par
un autre élève, même lorsque les commentaires en question portent sur les différences
entre les sexes, ne donne pas droit à des dommages-intérêts. Dans le contexte du
harcèlement entre élèves, le comportement peut faire lobjet de tels dommages
sil est si grave, intense et objectivement répréhensible quon peut
considérer quil prive la victime de laccès égal à léducation, que
le Title IX est censé protéger.»
POLITIQUES EN VIGUEUR
Le lendemain de cette décision, le Sun de Vancouver révélait que le personnel
enseignant de la Colombie-Britannique disposera en septembre 1999 dun guide
provincial pour laider à composer avec les élèves de lélémentaire qui
victimisent leurs camarades de classe ou les harcèlent sexuellement. «Nous voulons
montrer au personnel des écoles comment réagir à un éventail de comportements de
nature sexuelle, quils soient normaux ou problématiques», a souligné Diane
Pollard, coordonnatrice de la direction des programmes spéciaux du ministère.
Daprès elle, cette initiative ne découle pas dun incident particulier ou
dune hausse du nombre dincidents. «Cest plutôt une démarche
préventive, qui tient compte du fait que parfois les enfants réagissent au stress en
ayant des comportements déplacés», a-t-elle précisé.
Depuis 1994, en vertu de la politique du ministère de lÉducation énoncée dans
le document Pour des écoles sans violence : une politique, les conseils scolaires de
lOntario doivent adopter des politiques visant à créer un milieu scolaire sûr,
accueillant et sans violence. Les mauvais traitements dordre sexuel, physique,
verbal ou psychologique, lintimidation et la discrimination ne sont pas tolérés.
Lexpérience américaine pourrait-elle cependant se reproduire au Canada?
Devrait-on sattendre à des poursuites semblables en Ontario? Sans aucun doute.
Comme la société canadienne fait appel de plus en plus aux tribunaux, il ne serait
pas étonnant que les conseils scolaires de lOntario se retrouvent un jour dans la
même situation que le comté de Monroe.
Il est vrai que notre législation est différente. Ensemble, cependant, le Code des
droits de la personne de lOntario et la Loi sur léducation ont le même effet
que la loi américaine. Le Code des droits de la personne interdit la discrimination dans
les services; or, léducation publique est un service que rend le conseil scolaire.
Lorsquune action est introduite pour un cas de harcèlement sexuel entre
élèves, le conseil scolaire peut être désigné comme partie à linstance. Le
Code prévoit quun conseil scolaire peut être désigné comme partie à une
instance concernant les actes commis par des personnes qui sont sous son contrôle. La Loi
sur léducation, quant à elle, précise que le personnel enseignant et les
directions décole ont le devoir et lobligation de maintenir lordre et
la discipline dans la salle de classe, dans les bâtiments et sur les terrains de
lécole.
UN RÔLE PASSIF NE SUFFIT PAS
En outre, la Cour suprême du Canada a déclaré récemment qu«un conseil
scolaire a l'obligation de maintenir un climat positif pour toutes les personnes qu'il
sert et il doit toujours veiller à écarter tout ce qui pourrait nuire à cette
obligation. Il ne lui suffit pas d'assumer un rôle passif» [1996] S.C.J. n° 40 (Q.L.),
inf. (1993).
Il serait facile de soutenir que les conseils scolaires canadiens pourraient être
tenus responsables du harcèlement commis par des élèves à lendroit de leurs
camarades. Ainsi, selon un article de Chantal Richard paru récemment dans le Dalhousie
Law Journal, «au Canada, la jurisprudence en matière de droits de la personne touchant
la responsabilité de lemployeur à légard du harcèlement sexuel entre
collègues de travail semble indiquer que les écoles pourraient fort bien être tenues
responsables du harcèlement sexuel entre élèves. Il existe une analogie entre le
harcèlement sexuel entre élèves et entre collègues de travail, car les administrateurs
scolaires exercent au moins autant de contrôle sur les élèves que les employeurs sur
leur personnel.»
«On peut prétendre que les écoles exercent même plus dinfluence sur leurs
élèves, car elles ont lobligation légale de les discipliner et de contrôler leur
présence jusquà lâge de 16 ans», poursuit Richard dans son article
intitulé «Surviving Student-to-Student Sexual Harassment: Legal Remedies and Prevention
Programmes».
Si les tribunaux canadiens doivent effectivement emboîter le pas à la jurisprudence
américaine, que doit-on faire? En bout de ligne, les sociétés contentieuses profitent
rarement de la multiplication de poursuites qui touchent tous les aspects de la vie. Il
est sans doute préférable dadopter une démarche proactive et préventive, de
déceler les comportements destructeurs dès leur apparition et de les rectifier le plus
tôt possible.
LIRRESPECT NA RIEN DÉTONNANT
Cependant, les politiques et directives ne suffisent pas. Les lois ne mettent pas un
frein au comportement criminel; elles permettent uniquement à la société de le
sanctionner après coup. De même, il ne suffit pas dadopter des protocoles et des
politiques pour éliminer le harcèlement.
Il nest pas étonnant que les enfants négligés ou maltraités au foyer adoptent
le comportement de leurs parents. Comment peut-on sattendre à ce que des enfants
qui ont faim ou dont on ne répond pas aux besoins de base fassent preuve de compassion et
de tolérance?
Tous les médias exposent nos enfants à un torrent de violence sans précédent.
Comment donc sétonner que les comportements irrespectueux soient si répandus? Les
compressions budgétaires imposées à léducation publique et la disparition des programmes parascolaires qui sen est suivie engendrent de
lennui et une perte de motivation, deux facteurs qui peuvent donner lieu à des
comportements destructeurs et répréhensibles.
Rien ne sert de perdre notre temps à esquiver des poursuites éventuelles. Nous
devrions plutôt nous concentrer sur léducation dune nouvelle génération
denfants qui, dès leur plus jeune âge, feront preuve de compassion et de
tolérance, pour que ces poursuites deviennent le vestige dun passé révolu.