Des enseignants remarquables

Lawrence Hill

Mme Rowe, Margaret Shinozaki et Donald Gutteridge

de Brian Jamieson

Kurt Browning s’est forgé une carrière en patinant à travers des situations tendues. Mais, au départ, il lui aurait été impossible de se soustraire au regard perçant de son enseignant de 5e année, le très sévère Leonard McLean.

Se remémorant les jours lointains passés à l’école de Caroline, ville minuscule et endurcie de l’Alberta, M. Browning, ancien champion du monde de patinage artistique et animateur actuel de l’émission de la CBC, Battle of the Blades, raconte : «C’était le premier poste d’enseignant de Leonard McLean et il était le dur à cuire de service.

«Il est arrivé avec une démarche volontaire. Il était le nouveau patron et il avait la ferme intention de donner une bonne leçon à ces gamins. Lancer un bout de craie ou une brosse à tableau aux élèves turbulents ou inattentifs n’était pas au-dessous de lui.»

Cependant, un phénomène étrange s’est produit au cours de la première année d’enseignement de M. McLean à l’école de Caroline. Pour commencer, les élèves dissipés de l’école, élevés sur la ferme, se sont attachés à cet enseignant strict.

«Nous étions fiers du fait que notre enseignant était le plus sévère de l’école, raconte M. Browning. Cela nous plaisait.»

Une fois ce lien établi, M. McLean s’est montré plus décontracté avec ses élèves. Et ses élèves sont devenus plus à l’aise avec lui.

Et aujourd’hui, ô surprise! M. McLean habite encore à Caroline. Il est à la retraite, remarquez, mais toujours là, véritable pilier de la communauté.

«Je crois que nous l’avons transformé autant qu’il nous a transformés. Je ne mets pas des mots dans sa bouche. Il nous l’a dit plus tard, relate M. Browning, 44 ans.

«Il nous a confié : “Je pense que vous m’avez aidé, d’une certaine manière, à accepter mon propre style d’enseignement.” Et du professeur strict, froid, autoritaire, entouré d’une carapace, il est passé à une personne ouverte vers qui tout le monde se tournait.

«C’était une ville agricole endurcie, avec des enfants de ferme au caractère bien trempé et, par conséquent, nous nous sommes reconnus dans son côté aguerri. Mais il est devenu beaucoup plus pour nous. Lenny est devenu la personne en qui tout le monde avait confiance. C’est comme ça qu’on l’appelait : Lenny.»

Les souvenirs que les enfants conservent de leurs enseignants sont souvent vus sous un jour nouveau à l’âge adulte. À un certain moment, une lumière s’allume dans les yeux de M. Browning et il a hâte de parler à son ancien enseignant.

«J’aimerais bien lui poser une question, dit-il. Il est arrivé avec toutes ces connaissances et, aujourd’hui, en tant qu’adulte, je me dis qu’il n’avait peut-être pas envie de s’installer dans une petite ville. Qui sait? Peut-être qu’il n’avait pas envie d’être là.

Les souvenirs que les enfants conservent de leurs enseignants sont souvent vus sous un jour nouveau à l’âge adulte.

«Peut-être qu’après un moment il s’est dit : “On est bien, ici.” Ce n’est qu’une supposition, on ne peut pas réellement savoir. Mais même si nous n’étions qu’en 5e année, nous pouvions voir que quelque chose avait changé en lui au cours de cette première année.»

Quand on lui parle de la théorie de son ancien élève, M. McLean rit. «Kurt me lit comme un livre ouvert, dit-il.

«Tout ce qui concerne Kurt Browning est toujours un plaisir. J’imagine que j’ai dû avoir une influence dans sa vie, mais à l’époque, je ne pensais pas comme ça. J’essayais plutôt de garder la tête au-dessus de l’eau.»

On dirait que M. McLean a fait beaucoup plus que cela.

Après avoir grandi à Montréal, obtenu son brevet d’enseignement à Edmonton et passé toute sa vie dans deux des plus grandes villes du Canada, M. McLean a décroché son premier emploi d’enseignant dans la minuscule ville de Caroline.

«Je me souviens d’avoir téléphoné à ma mère et de lui avoir dit : “J’ai trouvé un poste d’enseignant à Caroline, mais l’endroit n’est pas indiqué sur la carte”, se souvient-il. Donc, Kurt a vu juste.

«À l’époque, j’ai dit à ma femme : “Eh bien, restons ici deux ans.” C’était ce que nous avions prévu. Mais nous étions tout près des montagnes et j’adore les montagnes. Au bout d’un an ou deux, j’étais tombé amoureux de l’endroit. Et puis, ma femme s’est fait accepter très facilement dans la communauté, alors on s’est dit qu’on ne trouvera pas mieux ailleurs.

«Par contre, cela ne faisait pas du tout l’affaire de ma fille aînée, qui voulait vivre dans la grande ville, à Montréal. Elle habite à Edmonton, maintenant. Ma cadette vit dans une petite communauté aussi. Nous avons une fille de chaque type.»

Selon Kurt Browning, il est impossible aujourd’hui d’imaginer Caroline sans Leonard McLean.

«Il est tout simplement devenu le genre de personne que toute la communauté s’attend à voir aux différents événements, dit-il. Si un nouveau musée ouvre ses portes tout près de la ville, qui fait entrer les gens? Lenny. Il est de ce type. On n’est jamais surpris de le voir.

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Leonard McLean (dans le costume) et Kurt Browning

«Et quand on ne l’aperçoit pas lors d’un événement, on se demande pourquoi. Seules les personnes ayant un réel esprit de communauté se font remarquer de la sorte. Et quiconque se fait toujours inviter à nos réunions d’anciens élèves – et il a accepté nos invitations à quelques reprises – est le type de personne en qui les enfants ont confiance.

«Il est devenu celui vers qui se tourner en cas de problème sérieux. Dans ces situations, les gens s’adressaient à Lenny.»

Dites-nous, Kurt, avez-vous déjà consulté Lenny pour un problème «sérieux»?

«Je suis parti très jeune pour poursuivre ma carrière de patineur artistique. Lorsque j’ai atteint l’âge où l’on peut avoir un problème digne de lui en parler, je suis parti.»

Tant pis, c’est probablement pour le mieux!

Kurt Browning estime que, tout compte fait, son expérience à l’école a été bonne.

«Oui, j’aimais bien l’école. Mais je suis allé à l’école à une époque où les enfants n’étaient pas assommés de devoirs, et c’était vraiment une petite ville. Pour parler très franchement, je peux vous dire que l’école n’était pas un problème.

«Je vois bien que l’école représente aujourd’hui beaucoup plus de travail pour les élèves. C’est beaucoup plus sérieux. Dans le temps, les enseignants étaient membres du Club Lions avec le père de leurs élèves. Le prof d’éducation physique était aussi l’entraîneur de hockey. Ce genre de chose était courante.»

D’ailleurs, M. McLean a été l’entraîneur de hockey de M. Browning pendant deux ans.

«J’assiste encore aux compétitions de patinage ainsi qu’artistique aux parties de hockey, de curling et de baseball. Je fais tout simplement partie de la communauté, raconte l’enseignant à la retraite. Le seul moment où je n’assiste pas aux événements, c’est lorsque mes petits-enfants ont des parties de hockey ou d’autres activités, et que je les suis.»

Se rappelant sa transformation de tyran à citoyen modèle, M. McLean convient qu’il a entrepris sa carrière à une époque bien différente pour les enseignants.

«Si mon style d’enseignement n’avait pas été aussi bien accepté, j’aurais peut-être été plus enclin à partir, reconnaît-il.

«Il fallait se montrer bien trempé, car c’était une communauté agricole endurcie. À cette époque, par contre, l’enseignant recevait l’appui des parents la majeure partie du temps. Si un élève rentrait chez lui et disait qu’il avait été réprimandé à l’école, il risquait fort de se faire disputer à la maison également.

«C’était une époque plus dure en ce sens, mais en même temps, on pouvait donner une tape dans le dos d’un élève sans se retourner pour voir si quelqu’un était en train de prendre une photo. De bien des manières, enseigner à l’école élémentaire est plus difficile de nos jours.»

Quand on lui demande quel conseil il voudrait donner aux enseignants d’aujourd’hui, M. McLean offre le même conseil qu’il s’est donné à lui-même, il y a tant d’années.

«Calmez-vous les nerfs, dit-il simplement. Il faut juste relaxer un peu.»