Pour parler professionLa revue de L’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario
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Chroniques

Articles de fond

Transition à l’enseignement 2007 

de Frank McIntyre

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La crise de l’emploi touche certains pédagogues

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Vous enseignez en français? Vous avez de la chance!

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Du côté de l’insertion professionnelle

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Le marché du travail déçoit les enseignants néo-canadiens

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Bâtir l’avenir

d’Alex Bozikovic

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Rétablissement de la justice

de Melodie McCullough

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Ressources

Autoréglementation

 

Des écoles plus sûres grâce au rétablissement de la justice

Les experts disent qu’elle améliore le capital social des écoles. Les administrations la voient comme un outil d’une portée incroyable. Pour le personnel enseignant et les directions d’école, c’est une bouffée d’air pur. Et pour les élèves, c’est bien mieux qu’une suspension!

La justice réparatrice peut-elle agir là où la discipline traditionnelle a échoué?

de Melodie McCullough

Les écoles ontariennes ont de plus en plus recours à la justice réparatrice pour contrer l’intimidation, le vandalisme, les conflits et autres problèmes en matière de discipline. Qu’elle vienne remplacer la «tolérance zéro» ou qu’on l’utilise pour enrayer les récidives et garder les jeunes en classe, le principe et les techniques de cette mesure progressive semblent contribuer à faire des écoles des lieux d’apprentissage sûrs.

«C’est très efficace pour réparer les dommages; l’élève peut retourner en classe, avoir des relations positives et passer à autre chose», affirme Sean Ruddy, qui était directeur adjoint de l’Almaguin Highlands Secondary School l’an dernier. Cette école de campagne de 750 élèves, située à South River, soit à 60 km au sud de North Bay, utilise cette technique depuis deux ans.

«Suspendre un élève est une manière facile de traiter un incident, déclare-t-il. Mais quand il va revenir trois ou cinq jours plus tard, rien ne l’empêchera de recommencer. Nous voulions réduire les risques et, en fait, nous n’avons connu aucun cas de récidive.»

Sean Ruddy, ancien directeur adjoint de l’Almaguin Highlands Secondary School (maintenant à la West Ferris Secondary School de North Bay)

Comme son nom l’indique, la justice réparatrice vise à rétablir les relations. Elle s’éloigne de la discipline traditionnelle selon laquelle une autorité inflige une punition à l’offenseur. En obligeant le malfaiteur à faire face à ses victimes, à prendre conscience des conséquences de ses actions et à dédommager ses victimes, on le tient responsable de ses gestes et on permet aux victimes de se faire entendre. Le point central de cette mesure est la «guérison» à long terme des parties en cause et la réintégration du contrevenant dans l’école.

Le processus se déroule de diverses façons : médiation par les pairs, cercles de détermination de la peine et, dans les cas plus officiels, groupes de discussion. Intimidation et harcèlement, vandalisme, blasphèmes à l’endroit des enseignants, bagarres, agression, vol et port d’armes sont autant de méfaits que l’on peut aborder. La technique vient parfois remplacer, parfois renforcer la suspension. On peut s’en prévaloir pour régler des différends entre élèves, entre un élève et un enseignant (ou un autre membre du personnel) et même entre collègues.

La justice réparatrice fait partie depuis des lustres des systèmes judiciaires autochtones d’Amérique du Nord. Elle a récemment reçu l’approbation du système judiciaire canadien par suite de l’inclusion de conférences en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Selon M. Ruddy, les conférences réparatrices commencent habituellement par une entrevue entre la victime et le coupable. Dans les écoles, on choisit un endroit neutre. La victime et l’offenseur se rencontrent dans un cercle, accompagnés généralement de leurs parents. Se joignent à eux un animateur, le directeur adjoint et, à l’occasion, un agent de liaison des services de police, qui ont tous reçu une formation sur les pratiques réparatrices. Les autres personnes touchées par l’incident – amis, conducteur d’autobus ou gardiens – peuvent également participer.

«Chacun peut exprimer ses sentiments, parler des répercussions des gestes posés.»

On pose ensuite des questions sur le déroulement de l’incident : Que s’est-il passé? À quoi pensais-tu? Qui a été touché? Que faudrait-il faire pour arranger les choses?

«On questionne chaque intervenant. Chacun peut exprimer ses sentiments, parler des répercussions, des gestes posés. Nous en arrivons ensuite à un règlement possible, raconte M. Ruddy. Plutôt que de recevoir une punition, l’offenseur retourne dans la classe en s’engageant à aller de l’avant. Selon la gravité de l'incident, les solutions proposées peuvent être simples ou plus complexes, comme du counseling sur la gestion de la colère.

«Tous participent au règlement; il ne s’agit pas de prendre des mesures “contre” quelqu’un. Ainsi chacun dans le cercle est-il responsable de la résolution du problème.»

On fournit habituellement de la nourriture pour procéder à une cérémonie métaphorique de communion. Après être parvenus à une entente, les participants mangent ensemble pendant que l’animateur rédige l’entente à signer. On fait le suivi quelques semaines plus tard.

Le programme a connu un tel succès à l’école Almaguin Highlands, que la direction a décidé de lancer un programme de médiation par les pairs fondé sur les théories de justice réparatrice. On a formé 20 élèves qui agiront à titre d’animateurs entre les élèves avant qu’un cas soit signalé à la direction adjointe.

En février 2006, la Peterborough Collegiate and Vocational School (PCVS) est devenue la première école secondaire à instaurer la justice réparatrice au sein du Kawartha Pine Ridge District Public School Board. Maintenant, chacune des écoles élémentaires et secondaires du conseil scolaire dispose de personnes formées. Une première, selon eux, dans la province.

Anita Simpson, adjointe principale au directeur de l’éducation et ancienne directrice de la Peterborough Collegiate and Vocational School (PCVS), ainsi que Simon Weigh, enseignant à la PCVS du Kawartha Pine Ridge District Public School Board

Un enseignant de la PCVS, Simon Weigh, raconte comment une conférence a rétabli la confiance entre les élèves et les enseignants après un voyage à New York. Au cours du voyage, l’enseignant responsable a dû passer la nuit à l’hôpital avec un élève qui s’était cassé le nez. On a su, par la suite, comment l’incident s’était déroulé. Les élèves avaient ignoré le couvre-feu. Des garçons et des filles s’étaient réunis dans une chambre et avaient commencé à se bagarrer à coups d’oreillers. Cinq élèves devaient recevoir une suspension.

Selon M. Weigh, les élèves ne comprenaient pas le sérieux de la situation. Les enseignants leur ont demandé de participer à un cercle. Pendant trois heures, le personnel a expliqué aux élèves qu’ils avaient perdu leur confiance et, qu’à l’avenir, personne ne voudrait emmener d’autres élèves à des sorties éducatives en raison de leur comportement. Les élèves ont finalement compris.

«Cela a bien fonctionné, ajoute M. Weigh. Ils se sont rendu compte qu’ils avaient dépassé la limite des adolescents qui cherchent simplement à s’amuser. À un certain moment, ils ont pu écouter les enseignants se vider le cœur. C’était bien d’en être témoin.»

Les élèves ont révélé que, s’ils avaient reçu une suspension, ils s’en seraient peu souciés et n’auraient rien appris. Toutefois, selon l’entente, ils devaient sensibiliser d’autres élèves qui devaient faire des sorties, ce qui leur a valu le pardon de leurs enseignants.

Anita Simpson, directrice de la PCVS jusqu’en septembre dernier, raconte, qu’au départ, l’école tenait des réunions publiques ou des rencontres avec les élèves pour expliquer les pratiques de justice réparatrice. La conférence est la façon la plus «officielle» de procéder, mais il ne s’agit, selon elle, que d’une composante de l’ensemble des techniques utilisées chaque jour dans l’école. Mme Simpson soutient que les enseignants se prévalent souvent de ces méthodes – avec grand succès d’ailleurs – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la classe.

«Les suspensions ne donnent aucune aptitude émotionnelle ni sociale aux élèves.»

«Je pense que ça nous met sur la même longueur d’onde quand vient le temps de parler de torts ou de fautes», dit-elle.

David Smith, membre de la faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa ayant fait des recherches sur les programmes contre l’intimidation à l’école, considère qu’il s’agit d’un élément important de la justice réparatrice en milieu scolaire.

«Ce n’est pas uniquement une série de techniques, précise-t-il. C’est une façon d’agir en relation avec les autres. Si les stratégies ne font pas partie de notre mentalité, elles ne seront pas efficaces.»

Le Waterloo Region District School Board est perçu comme le leader en matière de programmes de justice réparatrice. «Les techniques sont utilisées depuis cinq ans dans la plupart de ses écoles. Celles-ci continuent de trouver des façons originales de faire participer toute la communauté scolaire, affirme Lynn Zammit, coordonnatrice du projet sur la justice réparatrice.

«Si on envoie un élève au bureau de la direction, il remplit un formulaire qui le force à réfléchir sur l’incident, sur les personnes lésées, sur les façons de les dédommager. On a aussi créé le programme Making Amends (réparer les torts) : plutôt que de recevoir une suspension, l’élève réfléchit toute la journée sur l’incident et ses répercussions. Le conseil scolaire a formé les 100 agents du service de police de la région de Waterloo.»

Pour sa contribution au projet, Mme Zammit a reçu, en mai, le Prix de distinction du procureur général pour les services aux victimes.

Lynn Zammit, coordonnatrice du projet de la justice réparatrice du Waterloo Region District School Board

La justice réparatrice répond aussi aux attentes des diplômés des écoles catholiques de l’Ontario.

«Elle permet aux victimes de se faire entendre. Elle cadre bien avec la philosophie de l’éducation catholique et le concept de réunir les victimes et ceux qui leur ont fait du mal. Elle permet le pardon et la réparation», soutient Ann-Marie Deas, travailleuse sociale au Bruce-Grey Catholic District School Board. Ce dernier a établi un partenariat avec le Bluewater District School Board et l’Owen Sound Family YMCA pour mener des conférences sur les mesures réparatrices.

Le gouvernement provincial trouve aussi ces mesures dignes d’intérêt; il a d’ailleurs offert du soutien financier au Kawartha Pine Ridge District Public School Board pour son programme, par l’entremise du modèle de financement du ministère de l’Éducation.

«Nous sommes toujours heureux quand des gens font connaître leurs pratiques exemplaires et donnent aux administrations, au personnel enseignant et aux directions les outils nécessaires pour les mettre en pratique dans leur école, affirme la porte-parole du Ministère, Patricia MacNeil. La justice réparatrice s’y prête bien.»

Aux critiques qui disent que l’approche est permissive, les partisans répliquent rapidement.

«Tous ceux qui sont de cet avis n’ont jamais participé à un cercle. C’est probablement l’exercice le plus difficile qui soit pour un enfant. Le processus est vraiment efficace : assis pendant deux ou trois heures, il écoute les victimes raconter en détail le mal qu’il a causé», précise Mme Zammit.

Les administrateurs soutiennent qu’on ne dispose pas de données solides pour prouver jusqu’à quel point la méthode est efficace. Mais les succès sont nombreux et Mme Zammit révèle que le nombre de suspensions est à la baisse dans son conseil scolaire.

«Les suspensions ne donnent aucune aptitude émotionnelle ou sociale aux élèves. Or, c’est ce qui leur manque et ce qui est à la source du problème. Nous travaillons dans le secteur de l’éducation et j’aimerais croire que, même dans les cas les plus difficiles, nous continuons d’enseigner.»

Ressources

Social Intelligence de Daniel Goleman (Bantam, ISBN 978-0-553-38449-9)

Restoring Safe School Communities de Brenda Morrison (Irwin Law, ISBN 978-1-86287-477-0)

Justice réparatrice et médiation pénale de la collection Sciences criminelles (First Editions, ISBN 978-2-74755-285-1)

Centre for Restorative Justice de l’Université Simon Fraser, www.sfu.ca/crj

Centre de services en justice réparatrice, www.csjr.org

Waterloo Region District School Board, www.wrdsb.on.ca

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