Juin 2000

L’Ordre veut s’assurer que tous les enseignants et enseignantes de l’Ontario ont des aptitudes linguistiques suffisantes pour enseigner, mais son plan d’action s’est enlisé dans la bureaucratie du ministère de l’Éducation.


La compétence linguistique du personnel enseignant : il est temps d’agir

Dans toute la province, un nombre croissant de postes en enseignement se libèrent. Bon nombre de conseils scolaires proposent maintenant des contrats aux enseignantes et enseignants près de huit mois plus tôt qu’il y a deux ans.

D’après les directions d’école et les surintendants, certains candidats formés à l’étranger seront déçus car leurs aptitudes en français ou en anglais sont insuffisantes pour leur permettre d’enseigner en classe, malgré la pénurie. Ils doivent non seulement parler la langue, mais également la lire, l’écrire et la comprendre.

«Pour être bon enseignant, il est essentiel d’avoir des aptitudes linguistiques suffisantes, d’autant plus que le nouveau curriculum de l’Ontario impose aux élèves des tests de compétences linguistiques et mathématiques, affirme Margaret Wilson, registrateure de l’Ordre. L’Ordre a la responsabilité de s’assurer que les enseignantes et enseignants qui sont autorisés à enseigner en Ontario ont les compétences linguistiques nécessaires pour être efficaces en classe. Or, nous ne disposons pas de ce pouvoir. Si une enseignante ou un enseignant a les qualifications nécessaires sur papier, nous devons l’autoriser à chercher un emploi en Ontario.»

L’an dernier, l’Ordre a demandé au gouvernement de lui donner la compétence de s’assurer que les candidats ont des aptitudes suffisantes en français ou en anglais. En outre, il a proposé de supprimer une étape du processus de certification des enseignantes et enseignants formés à l’étranger en vue de simplifier et d’accélérer la délivrance de leur carte de compétence ontarienne.

En 1998, un directeur d’école a fait parvenir à l’Ordre une lettre qui témoigne de ce problème. Il avait reçu une demande d’emploi de la part d’un enseignant formé à l’étranger. Pour être autorisé à chercher un emploi, cet enseignant avait obtenu une attestation d’admissibilité, que l’Ordre était tenu de lui délivrer vu ses qualifications.

Dans sa lettre de présentation, l’enseignante, qui demandait un poste pour enseigner l’anglais, écrivait : «…je prends en main mon objectif d’être un enseignant assidu qui se concentrera sur la rationalisation de son cheminement de carrière afin d’obtenir une carte de compétence qui correspond précisément à mes désirs», avant d’ajouter : «En évitant de circonscrire les intérêts que j’ai dans ma carrière d’enseignante, je réalise des progrès avantageux concernant la carte de compétence dans le cadre d’un mécanisme efficace d’épanouissement personnel.»

SITUATION ALARMANTE
Richard Evans, directeur de l’école secondaire I. E. Weldon de Lindsay, a écrit à l’Ordre pour lui faire part de son étonnement que cette enseignante ait reçu une attestation d’admissibilité. Il dit s’être demandé ce qui aurait pu se produire si cette enseignante avait été embauchée. «Si elle avait eu assez de discernement pour se rendre compte qu’elle écrivait mal, elle aurait pu demander à quelqu’un de rédiger sa lettre de présentation à sa place. Les conséquences auraient été plutôt alarmantes», affirme-t-il.

D’autres intervenants partagent ce point de vue. Trudy Griffiths, du Conseil ontarien des parents, souligne que les compétences linguistiques représentent désormais une composante obligatoire du nouveau curriculum. «Il va de soi que les aptitudes en français ou en anglais devraient compter parmi les critères de certification des enseignantes et enseignants», dit-elle.

L’Ontario Public Supervisory Officials’ Association (OPSOA) préconise un test d’aptitudes linguistiques pour les enseignantes et enseignants qui ont reçu leur formation dans une langue étrangère. Frank Kelly, de l’OPSOA, fait remarquer qu’il y a toujours quelques enseignantes et enseignants dont les aptitudes linguistiques laissent à désirer. «Je comprends leur situation. À mon avis, ils font un excellent travail.» Cependant, à l’instar d’autres intervenants du monde de l’éducation, il croit que la capacité d’enseigner sans difficulté dans la langue d’enseignement devrait constituer un critère d’embauche prioritaire.

Depuis deux ans, l’Ordre prépare une modification qu’il proposera d’apporter au règlement pour faire en sorte que les enseignantes et enseignants formés dans une langue étrangère soient tenus de démontrer leurs compétences linguistiques.

À l’heure actuelle, l’Ordre délivre une attestation d’admissibilité à une enseignante ou à un enseignant formé à l’étranger s’il juge ses qualifications équivalentes à celles exigées d’une personne formée en Ontario. Cette attestation permet de chercher un emploi dans une école ontarienne. L’agente ou l’agent de supervision du conseil scolaire qui offre un emploi doit attester que l’enseignante ou l’enseignant a les aptitudes linguistiques nécessaires en apposant sa signature sur l’attestation d’admissibilité. La démarche suivie pour vérifier ces aptitudes varie selon le conseil, mais parfois, elle se réduit à une brève conversation.

Evans ne remet pas ce régime en question. «Je n’ai jamais embauché une enseignante ou un enseignant sans entrevue, dit-il, et l’entrevue est une très bonne méthode de sélection.»

Toutefois, les directions d’école et les conseils scolaires ne sont pas tous du même avis, et il est à prévoir que l’offre décroissante de personnel enseignant en Ontario et presque partout ailleurs ne fera qu’aggraver ce problème.

MODIFICATIONS AU RÈGLEMENT 184
L’Ordre a proposé des modifications au Règlement 184 sur les qualifications requises pour enseigner qui énonce les exigences pour obtenir le droit d’enseigner en Ontario. En vertu de ces modifications, une personne qui a reçu sa formation dans une langue autre que le français ou l’anglais et qui veut obtenir une carte de compétence serait soumise à un test visant à confirmer ses aptitudes linguistiques dans l’une ou l’autre de ces langues.

L’Ordre a établi les modalités de ce test en consultation avec 18 groupes d’intervenants du monde de l’éducation qui, de même que le personnel du ministère de l’Éducation, ont été appelés à formuler des commentaires sur une ébauche des changements proposés. Cette proposition a été très bien accueillie.

Certains intervenants ont soulevé des questions relatives à la mise en œuvre; selon eux, il faut s’assurer que le test ne sera pas trop coûteux pour les enseignantes et enseignants, qu’il ne représentera pas une forme de discrimination à l’endroit de certains groupes de personnes et que les enseignantes et enseignants qui échouent pourront se perfectionner et refaire le test plus tard.

Pour Liz Sandals, de l’Ontario Public School Boards Association, le processus d’entrevue permet de déterminer si les aptitudes des candidats à la communication orale sont suffisantes, mais ce n’est pas là la seule aptitude linguistique à vérifier.

«Il est également important de ne pas limiter les tests à la lecture, sur laquelle se concentrent bien des tests d’alphabétisation, car ce n’est là qu’une partie du problème. L’enseignante ou l’enseignant doit savoir comment communiquer oralement et par écrit avec les élèves et les parents.»

Il est prévu que de nombreux enseignants et enseignantes prendront leur retraite sous peu; on peut donc s’attendre à ce que l’offre de personnel diminue, et que de plus en plus d’enseignantes et d’enseignants de l’étranger viennent travailler en Ontario.

D’AUTRES INQUIÉTUDES
Susan Langley, secrétaire-trésorière de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, organisme ayant participé à la consultation, juge qu’il s’agit là d’une question importante. «L’an dernier, nous avons relevé une forte hausse des demandes d’admission aux facultés d’éducation, mais je sais qu’il y a des domaines où la pénurie sera particulièrement grave, comme en mathématiques et en sciences. Pour combler ces postes, il faudra peut-être recruter des enseignantes et des enseignants de l’extérieur de la province. C’est là que ça devient plus inquiétant.»

La registrateure de l’Ordre a également rencontré un certain nombre de groupes représentant des communautés minoritaires. Ils sont en faveur de cette initiative, tout en soulignant qu’elle doit être équitable pour les candidats, qu’il faut appuyer les personnes qui s’efforcent de perfectionner leurs aptitudes linguistiques et que ces personnes devraient pouvoir s’inscrire à des programmes de français ou d’anglais langue seconde.

La proposition de l’Ordre de supprimer l’étape de l’attestation d’admissibilité du processus de certification des enseignantes et enseignants formés à l’étranger a reçu un appui général. À l’heure actuelle, l’Ordre évalue chaque année les qualifications de 1 300 à 1 500 enseignantes et enseignants formés à l’étranger. En vertu des modifications qu’il propose, on estime que de 200 à 300 candidats devront suivre un test d’aptitudes linguistiques. Le niveau de compétence dont devront faire preuve les enseignantes et enseignants sera rendu public. Ceux qui ne répondent pas aux normes auront une idée précise des compétences à approfondir pour avoir le droit d’enseigner en Ontario.

Les enseignantes et enseignants qui ont été formés dans certains pays francophones ou anglophones ou qui peuvent fournir la preuve qu’ils ont étudié au palier primaire, secondaire ou postsecondaire en français ou en anglais seraient exemptés du test.

En vertu des modifications proposées, l’attestation d’admissibilité serait remplacée par une carte de compétence provisoire. Les enseignantes et enseignants qualifiés obtiendraient une carte permanente après avoir achevé avec succès un an d’enseignement en Ontario, dans la mesure où ils répondent aux autres conditions prévues par l’Ordre.

RÉACTION ATTENDUE DU MINISTÈRE
En juin dernier, le conseil de l’Ordre a présenté officiellement au ministère de l’Éducation une demande de modification du règlement. Dans ses pourparlers avec les responsables du ministère, l’Ordre a constaté que sa demande était accueillie favorablement. Dans son allocution devant le conseil de l’Ordre, en novembre 1999, Janet Ecker, ministre de l’Éducation, a promis de donner suite à cette demande et à un certain nombre d’autres questions en suspens, mais l’Ordre attend toujours.

«Compte tenu du fait qu’il semble très important pour le gouvernement que les enseignantes et enseignants de l’Ontario possèdent les compétences nécessaires pour bien enseigner, il est étonnant que cette initiative soit au point mort, alors qu’elle vise des aptitudes fondamentales», déclare Wilson.