Des professeurs remarquables :
Adrienne Clarkson
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«Mon école secondaire, Lister Collegiate à Ottawa,
a célébré son 150e anniversaire voilà sept ou huit
ans», dit Adrienne Clarkson. Avant lévénement, lécole
avait demandé à ses diplômés quels types de festivités ils aimeraient
avoir. Clarkson a exprimé le désir de passer «une période de 40 minutes
avec M. Walter Mann.»
Apparemment, elle nétait pas la seule.
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«Ils ont dû nous placer dans le gymnase de lécole; nous étions environ 800,
ajoute-t-elle. Il avait 88 ans. Il est arrivé, il sest assis et il navait pas
changé du tout. Il portait un veston sport, des chaussures reluisantes et une cravate au
nud impeccable.»
«Il sest assis et nous a lu un poème cétait My
Last Duchess de Browning et je crois que la moitié dentre
nous ont fondu en larmes, tout simplement. Il croyait toujours que
le meurtre venait de se produire et que le duc venait presque de se
faire prendre en flagrant délit par son prochain visiteur et il nous
contait des histoires incroyables. "Voici ma dernière duchesse,
là, accrochée au mur". Jentends encore sa voix.»
La nouvelle Gouverneure générale du Canada décrit Walter B. Mann comme étant le
plus merveilleux enseignant quelle na jamais eu et linfluence la plus
importante dans sa vie, à part ses parents. Mann a été celui qui la convaincue de
ne pas poursuivre des études en mathématiques à McGill, comme son frère avant elle,
afin de poursuivre des études en anglais et en philosophie au Trinity College de
lUniversité de Toronto.
«Il commençait toujours ses cours, quand nous faisions de la poésie, en nous lisant
un poème entier à voix haute et en nous demandant si lun dentre nous voulait
le lire aussi. Alors, quelquun pouvait décider de le lire et lui, sassoyait
pendant un moment et nous regardait, et nous le regardions, puis il faisait des remarques
inoubliables.»
Clarkson, qui lisait à peu près tout dans tous les genres, a acquis ce goût de la
littérature et de lécriture soignée grâce à Mann; il la influencée de
bien des façons.
«Je ne peux pas mempêcher de regarder le monde de la nature sans penser à M.
Mann, ajoute Clarkson. Il se rendait au tableau et inscrivait le mot arbre en haut, puis
nous demandait de dresser une liste le plus rapidement possible du plus grand nombre
darbres que nous pouvions imaginer. Ainsi, nous navions jamais à
nutiliser que le mot arbre dans une conversation, mais plutôt châtaignier, chêne,
érable, bouleau ou mélèze.»
«Il aimait aussi les beaux textes. Pas seulement parce cétait
au curriculum, mais aussi parce quil avait un sens de la valeur
morale quil communiquait par la littérature. Par exemple, nous
avions deux poèmes de D. H. Lawrence nous savions que Lamant
de Lady Chatterley était encore à lindex. Lun de ces
poèmes sintitulait The Piano et lautre The Snake.»
«The Piano parle dun enfant assis sous un piano pendant
que sa mère joue et qui ressent tout par rapport à la famille, à la
beauté et à lamour, ainsi que la nostalgie du poète pour cette
époque quand il était plus innocent.»
«Dans The Snake, un voyageur sort en pyjama après une sieste
et marche presque sur un serpent. Il passe par toutes sortes de réactions
qui lentraînent à vouloir tuer le serpent, mais il ne le tue
pas. Bien entendu, cest là un grand triomphe de la morale de
ne pas tuer le serpent, créature inoffensive, tout simplement parce
quil trouve le serpent repoussant. Enfin, nous avions passé
toute une période sur ces deux poèmes, puis il y eut un long silence;
nous le regardions et il nous regardait il y avait beaucoup
de silence dans cette classe. Puis, en nous regardant, il disait :
"Je vous demande si lhomme qui a écrit ces deux poèmes
pourrait être considéré comme étant immoral?" Évidemment, nous
savions tous ce quil voulait dire et nous avons tous dit quil
nétait pas immoral, mais bien un excellent poète.»
«Grâce à ces exercices, dit Clarkson, il nous enseignait que les auteurs sont des
personnes qui discernent le bien du mal dans un sens juste par rapport à un sens
conformiste, reconnu socialement.»
Mann sest souvent présenté aux élections à Ottawa sous la bannière du CCF,
mais Clarkson se rappelle aussi quil perdait toujours son dépôt. «Il croyait en
la nécessité de prendre soin des autres et il vivait selon ses croyances. Il nen a
absolument jamais parlé à lécole. Nous navons jamais entendu un mot de son
point de vue politique de cette façon. Ce quil a fait pourtant, cest de nous
enseigner de grandes idées politiques, des choses importantes qui comptaient, de faire ce
qui était juste.»
«Son point de vue était très égalitaire sans pour autant être trop militant. Il ne
prêtait jamais attention aux idées reçues sur ce que les garçons ou les filles
devaient faire. Il ne nous a jamais laissé croire quil y avait une différence
entre nous. À ses yeux, nous étions tous ses égaux, en âge, en expérience ou quoique
ce soit.»
Mann enseignait aussi lart oratoire. «Aujourdhui quand je parle, ajoute
Clarkson, je peux le voir assis quelque part dans lauditoire, me regardant avec ses
yeux légèrement plissés. Il était complètement chauve, même sil navait
pas plus de 40 ans et une moustache quil mâchait un peu quand il devenait agité.
Il navait pas son pareil comme formateur. Et il était toujours là pendant les
concours.»
La Gouverneure générale dit avoir eu beaucoup de bons enseignants et enseignantes.
Néanmoins, Walter Mann avait «ce quelque chose de particulier qui le distinguait des
autres.»