L'éducation musicale à l'appui de la littératie
de Kate Lushington
Une énorme paire de lunettes sur le nez, Jonathan Bolduc salue les 15 élèves de la maternelle à l'entrée du laboratoire Mus-Alpha de l'Université d'Ottawa. Les enfants le connaissent bien, car ils le rencontrent une fois par semaine pour participer à son projet de recherche. Cependant, ses lunettes les étonnent.
De janvier à avril, quatre classes de la maternelle et quatre du jardin d'enfants de l'école élémentaire publique Francojeunesse ont fait l'objet d'une nouvelle étude menée par M. Bolduc. Il examine les effets que produit l'apprentissage de la musique sur le développement de la conscience phonologique et cherche quelle méthode pourrait permettre le plus grand essor à la littératie émergente.
Professeur en culture et littératie à la Faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa, M. Bolduc a récemment reçu le prix d'excellence en recherche. Avec son collègue Pascal Lefebvre, professeur en orthophonie de l'école des Sciences de la réadaptation, ils ont créé une approche interdisciplinaire unique liée à l'enseignement de la musique et de la langue à la petite enfance. Ayant fait équipe avec un étudiant qui possède de l'expérience en enseignement, ils ont conçu un projet de recherche multifonctionnel qui répond aux questions de base concernant les liens pédagogiques entre l'apprentissage de la musique et celui de la langue. Le projet offre des conseils pratiques et des activités particulières aux enseignants titulaires pour rehausser les capacités de leurs propres élèves en lecture et en écriture, et ce, par la musique.
Bienvenue au laboratoire
Emboîtant le pas au prof affublé d'étranges lunettes, les enfants pénètrent avec curiosité dans le laboratoire, insouciants de leur importance en tant qu'objets d'une étude scientifique. Ils ont tout simplement hâte de participer aux activités du jour. Une chandelle parfumée les accueille avec l'odeur délicieuse de gâteau. Des étagères débordent d'une variété d'instruments garnis de tissu kenté coloré, des petits tapis s'étendent en cercle sur le plancher, et la boîte de lettres découpées les attend. Une fois les manteaux et les bottes rangés, la routine commence.
Pendant que les jeunes élèves apparemment calmes s'assoient en rangées sur de petits gradins dans un coin du laboratoire de musique, M. Bolduc leur parle, avec entrain, de la fois où il a apporté ses petites lunettes jaunes à M. Snifoti, le fabricant de lunettes.
«Non! Elles sont bleues et elles sont énormes!», interrompent les enfants.
Jonathan Bolduc anime des activités avec des élèves de jardin d'enfants dans le laboratoire Mus-Alpha de l'Université d'Ottawa, dans le cadre d'une étude qui lie la musique et la littératie émergente.
Ainsi se déroule le bizarre préambule de la comptine du jour : M. Snifoti et son long nez. Cependant, la trame de l'histoire n'est pas l'élément principal de la leçon; cette entrée en matière amusante guide les jeunes élèves vers un monde de sons et de rythmes, de timbres et de clés.
Chaque semaine, M. Bolduc enseigne aux élèves une nouvelle comptine. Il la répète en utilisant une grande feuille laminée où figurent des paroles et des images afin de les encourager à associer des symboles à certains sons. La comptine présentée cette semaine diffère des précédentes, car elle ne comprend aucun animal imaginaire : c'est la raison pour laquelle M. Bolduc porte les énormes lunettes. D'habitude, il manipule une grande marionnette de tissu soyeux (requin, chat, dragon, mouton ou abeille, entre autres). Chaque comptine raconte, en quatre lignes, une petite histoire à propos du personnage principal.
MM. Bolduc et Lefebvre ont créé ces petites chansons qui servent d'outils pédagogiques de base pour les activités linguistiques et musicales en particulier. Chaque chanson repose sur la répétition de rimes et l'allitération fréquente de la première syllabe, en utilisant un vocabulaire riche ainsi que deux «pseudomots», c'est-à-dire des mots inventés. L'un deux est toujours le nom du personnage (dans ce cas, Snifoti); l'autre est toujours un verbe, une action que fait le personnage.
Les enfants ont tout simplement hâte de participer aux activités du jour.
Travail d'équipe
Les enfants savent à quoi s'attendre. «Qui seront les étoiles de la journée?» Deux d'entre eux sont choisis, on leur donne des coussins et de menus privilèges. Une voix proteste : «Mais Ben est toujours l'étoile, il l'a déjà été trois fois!» M. Bolduc s'assure que chaque enfant a la chance, à tour de rôle, d'être l'étoile du jour; l'élu aide ses camarades à faire leur apprentissage. Le groupe se calme. L'enseignant bat le rythme de la comptine sur un djembé : «Snifoti a le nez, plus long que ses pieds...». Court court long, court court long; long long court court long.
Il y a deux autres lignes, et le rythme marqué est joué avec une mélodie entraînante. Les élèves apprennent la comptine en 45 minutes. Pendant qu'ils s'appliquent à la tâche, je parle avec leur enseignante, Anne-Marie Colas, EAO.
L'engagement des enseignants impressionne M. Bolduc. L'école est située à peu de distance du laboratoire, mais il souligne que, depuis janvier, les pédagogues viennent toutes les semaines avec des élèves d'âge préscolaire qu'il faut emmitoufler dans des habits de neige, des bottes, des mitaines, des tuques et des foulards. «On travaille très bien avec l'école et l'administration. Un vrai travail d'équipe.»
Aujourd'hui, les élèves de quatre ans sont particulièrement calmes. Ils ne sont pas turbulents, ils se concentrent sur l'activité du jour. J'ai demandé à Mme Colas si son groupe était différent. Elle rit. «Non. C'est parce que je maintiens une discipline rigoureuse : une main de fer dans un gant de velours. Et ils adorent venir au laboratoire.»
Mme Colas n'est membre de l'Ordre que depuis 2005, mais elle est d'avis qu'elle a toujours été enseignante. Elle donnait des cours aux adolescents en Haïti, son pays d'origine, et a enseigné les langues aux adultes à son arrivée au Canada. Elle a suivi une formation pour enseigner aux tout-petits à la faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa.
Jeux et joie
Au laboratoire, l'exploration par le jeu est toujours au centre de toute activité. En plus de scander la rime des comptines spécialement créées, les enfants peuvent jouer à des jeux en suivant le rythme avec des tambourins de couleurs et de formes différentes ou en essayant de distinguer des sons et des intervalles sur le xylophone ou le clavier géant.
Durant la dernière séance de laboratoire avec une classe de maternelle enseignée par Danielle Morasse, EAO, M. Bolduc fait une pile avec des objets noir et blanc en forme de boîtes rectangulaires. Les enfants découvrent qu'il s'agit des touches d'un clavier de piano. Ils en prennent une chacun et collaborent pour assembler le clavier géant. En marchant dessus, en avant et à reculons, ils peuvent produire des sons plus aigus ou plus graves.
De telles interactions, l'engouement, le plaisir, sont des éléments communs aux expériences d'apprentissage basées sur la musique de M. Bolduc. Mme Morasse reconnaît qu'on rit toujours beaucoup quand M. Bolduc est dans la classe. La bonne humeur est toujours un facteur important. Elle ajoute que l'expérience vécue avec l'équipe de M. Bolduc lui a non seulement montré de nouvelles techniques, mais qu'elle a également confirmé ou renforcé certains concepts et certaines idées qu'elle avait déjà sur l'apprentissage de la musique et de la langue.
«Je possède des connaissances assez approfondies, mais c'est bon de prendre le temps de réfléchir et de mieux comprendre comment l'apprentissage de la musique favorise les capacités de lecture et d'écriture, et de quelle manière les connaissances musicales peuvent être mises au service du développement de la conscience phonologique.
C'est plus facile de transformer cela en jeu quand ils produisent des sons musicaux au lieu de sons associés à une lettre de l'alphabet, mais ça revient au même.»
Elle se souvient à quel point l'élève était heureux quand il allait au laboratoire, il était radieux!
Bien que Mme Morasse reconnaisse certains changements dans sa propre pratique, les effets sur ses élèves ont été encore plus frappants. Quand ils ont rencontré une femme du laboratoire dans le corridor de l'école, ils ont commencé instinctivement à réciter les comptines et à chanter les chansons qu'elle leur avait enseignées. à la fin de l'année scolaire, lorsque Mme Morasse a demandé aux enfants de nommer leur activité préférée, un petit garçon a répondu sans hésiter : «Les activités avec Jonathan à l'université!» Elle se souvient à quel point l'élève était heureux quand il allait au laboratoire, il était radieux!
À l'école Francojeunesse, Mme Gabrielle enseigne la musique à toutes les classes de son école, laquelle compte 500 élèves. Ce type d'enseignement spécialisé est rare dans les plus petites écoles, mais même les élèves favorisés de l'école Francojeunesse ne suivent qu'une leçon de musique de 40 minutes par semaine. M. Bolduc a mentionné que la National Association for Music Education aux États-Unis recommande 20 minutes de formation en musique par jour. Pour appliquer une telle recommandation, les enseignants doivent incorporer davantage la musique dans l'enseignement de tous les jours. C'est tout un défi. «À la maternelle, nous devons déjà enseigner la littératie, la numératie, les sciences, les arts et j'en passe!», déclare Mme Colas.
Elle a suivi des cours de musique donnés par M. Bolduc durant sa formation à l'enseignement et les a jugés indispensables. Son approche a eu une profonde influence sur la façon d'enseigner de Mme Colas. Selon elle, il apprivoise la peur d'enseigner la musique parce que les enseignants apprennent comment s'amuser. Quant au projet en cours, elle a remarqué que même les élèves qui s'expriment rarement dans le laboratoire apprennent. Elle ajoute : «Ils s'ouvrent à la musique. Leurs aptitudes à écouter s'améliorent, on les encourage à remarquer davantage les mots; ils disent que ce n'est pas un vrai mot, que c'est un mot inventé - voilà ce qu'ils font avec M. Bolduc.»
La musique facilite l'apprentissage. Elle nous permet d'ouvrir les portes du savoir à nos enfants.
Nous observons (sans être vus grâce au verre Argus) les 15 élèves de la maternelle entièrement occupés à chanter la comptine de M. Snifoti, à bouger de tout leur corps, à se balancer au rythme et à former un chœur en parfaite harmonie. Ils la connaissent bien; les activités musicales commencent. L'approche de M. Bolduc est précise et enjouée; il s'assure, comme leur enseignante, que les enfants s'amusent en apprenant l'essentiel des éléments de musique.
Le piment et la tomate
Pour cette activité, les élèves s'assoient en cercle sur les tapis avec M. Bolduc. Deux des élèves frappent le rythme sur des petits tambours, tandis que d'autres se passent un hochet en forme de tomate derrière le dos. Ils chantent sur le rythme et, quand la musique arrête, l'élève qui tient la tomate l'agite. Les élèves doivent trouver celui qui a la tomate. Puis, M. Bolduc ajoute un autre hochet, qui donne un son différent et a la forme d'un piment; on le fait circuler dans la direction opposée.
Ce jeu apparemment simple a deux objectifs pédagogiques. Tout d'abord, les enfants doivent situer le son dans l'espace, puis distinguer le timbre de deux instruments (la couleur et le son). On les encourage à remarquer des éléments qui diffèrent dans une séquence particulière. Les enfants de quatre ans détectent les différentes qualités acoustiques comme long/court, élevé/bas et même triste/heureux (la différence entre les tons majeurs et mineurs).
«Ils y parviennent bien», déclare-t-il. Par exemple, dans une autre comptine intitulée Rabadon le bourdon, les élèves se transforment en abeilles assises sur des nuages. Quand Jonathan Bolduc joue la musique joyeuse, les garçons quittent leur nuage et volent dans la pièce. Quand il joue la musique triste, les filles font de même. «Au début, peu d'élèves constatent une différence entre les deux, plus tard l'exercice se révèle très efficace. Assez souvent, les élèves de la 1re, 2e ou 3e année ne peuvent faire cet exercice, mais ceux de quatre ans y réussissent.»
Des groupes et des tests
Lier les recherches basées sur les résultats aux meilleures pratiques d'enseignement et aux réalités actuelles est une préoccupation majeure pour M. Bolduc et les écoles avec qui il travaille.
Le plan d'étude pour la recherche est nettement établi. Les élèves figurent dans un des quatre groupes de chaque niveau scolaire. Une fois par semaine, pendant dix semaines, on enseigne la comptine du jour de la même façon à trois groupes : le 1er groupe suit 30 minutes de formation en musique, le 2e groupe, 30 minutes d'apprentissage de la langue et le 3e groupe bénéficie des deux expériences précédentes, soit 15 minutes pour la musique et 15 pour la langue. Un 4e groupe sert de groupe témoin; il écoute un enregistrement de la comptine du jour sur CD, 30 fois pendant les cours réguliers, mais sans aucune interaction.
Dans les activités que nous menons déjà, il est possible de mieux préparer nos enfants à la lecture et à l'écriture.
La classe de maternelle de Mme Morasse, par exemple, tombait dans la 3e catégorie, celle qui recevait un apprentissage à la fois de la musique et de la langue. Parfois, les chercheurs venaient dans la salle de classe; parfois, les élèves allaient au laboratoire de M. Bolduc, à l'université.
MM. Bolduc et Lefebvre avancent l'hypothèse que le moyen le plus efficace d'améliorer les aptitudes précoces à la lecture et à l'écriture est de combiner l'enseignement de la musique et de la langue, mais ils n'en seront certains qu'au terme de l'expérience. Les élèves passent des épreuves évaluatives avant et après le programme; en premier pour la compréhension de la musique au moyen de la méthode de E.E. Gordon, Primary Measures of Music Audiation, puis, pour la langue, du test de I. Montésino Gelet, épreuve de conscience phonologique.
Les enseignants savent que la conscience phonologique chez la petite enfance est un indicateur fiable d'aptitude de lecture dans les années à venir. MM. Bolduc et Lefebvre sont convaincus que leur approche de l'enseignement de la musique et de la langue peut améliorer les chances de succès de tous les élèves et non pas seulement de ceux qui sont déjà doués ou extrêmement motivés au foyer.
Des élèves du jardin d'enfants jouent des instruments de musique et écoutent des comptines sous la direction de Jonathan Bolduc, dans le cadre de l'étude sur la musique et la langue.
Partager l'expertise
M. Bolduc est un musicien de formation et mène des groupes d'activité musicale hebdomadaire dans le laboratoire. Les autres groupes apprennent les comptines dans leurs salles de classe. Pascal Lefebvre applique son expertise linguistique à la conception de l'étude pour la recherche, mais sa charge de travail ne lui permet pas d'exécuter le programme d'activité linguistique. Christel Pirkenne, orthophoniste en Belgique où elle a réalisé une étude semblable, s'est jointe à l'équipe en janvier. Mme Pirkenne possède une expertise en apprentissage de la langue ainsi qu'une maîtrise en musique, avec une majeure en violon.
Arrivée une semaine avant le lancement du projet, elle avoue qu'elle était un peu inquiète : «J'étais habituée à travailler en petits groupes de cinq personnes au plus». En premier lieu, elle a rencontré les élèves de la classe de Danielle Morasse, EAO. Elle a énormément apprécié l'appui de l'enseignante pendant qu'elle expliquait le programme aux élèves.
Il est évident que ce projet vise plusieurs aspects du programme-cadre où nous espérons voir une certaine amélioration. «Je suis convaincue que des modifications favorables vont en découler. Je n'ai utilisé aucun instrument pour mesurer le changement, mais je suis certaine qu'il aura un effet positif, surtout sur la musicalité et la littératie», conclut-elle.
MM. Lefebvre et Bolduc et leur étudiant en études supérieures avaient fait un travail préparatoire exceptionnel de conception des comptines, facilitant l'entrée en action de Mme Pirkenne dans la classe. M. Lefebvre souligne la contribution d'environ 120 pédagogues qui ont testé les comptines dans leurs classes, à mesure qu'elles étaient créées. «Nous avons travaillé fort pour les perfectionner, affirme M. Lefebvre en souriant, sinon l'apprentissage n'aurait pas été sans failles.»
Au mois de septembre dernier, l'équipe avait 20 comptines. Les membres de l'équipe ont envoyé cinq comptines à chacun des pédagogues, sans aucun renseignement sur la prémisse du projet. Ils ont demandé aux enseignants d'utiliser une comptine par semaine dans leur classe pendant cinq semaines, puis de remplir un formulaire d'évaluation pour chaque comptine. Les enseignants ont noté les comptines qui étaient faciles à enseigner et les plus difficiles; les mots qui étaient faciles à prononcer et les plus difficiles. Ensuite, les comptines ont été modifiées selon la rétroaction reçue; par exemple, dans la comptine de M. Snifoti, le mot inventé «tarloche» est devenu «tarlouche». On a changé l'orthographe de ce mot parce que, selon les enseignants, les élèves ne pouvaient pas prononcer le premier.
Cette période d'essai avait visé loin et comprenait des enseignants d'écoles situées dans diverses communautés. En fait, la moitié provenait du Québec. «Il est essentiel que les comptines fonctionnent aussi bien pour les élèves qui ne parlent le français qu'à l'école que pour ceux qui le parlent tout le temps», explique M. Lefebvre. Ils les ont envoyées aux enseignants de communautés très pauvres et de quartiers plus fortunés, aux écoles de campagne et de la ville; tous les commentaires ont été incorporés dans la collection finale de comptines utilisées dans le programme de recherche.
Certains enseignants étaient, de premier abord, très incrédules à l'idée d'utiliser des mots inventés. Ils ne savaient pas quoi en faire jusqu'à ce que MM. Bolduc et Lefebvre leur donnent des conseils sur la façon d'enseigner avec des mots qui n'existent pas. Mais les mots imaginés ne dérangeaient pas les élèves; en fait, cela les amusait.
«Nous avons découvert une relation intéressante : plus les élèves s'amusaient, plus ils utilisaient les mots inventés, et plus les enseignants constataient que les élèves s'investissaient. Le plaisir joue un rôle important dans l'apprentissage, le plaisir de tous - si cela nous plaît, nous l'utilisons», remarque M. Lefebvre.
Au-delà du laboratoire
L'engagement des enseignants quant à l'évaluation des comptines dans leurs salles de classe a inspiré une manière de promouvoir cette approche pédagogique au-delà du laboratoire. La collection de comptines sera publiée en 2012; selon M. Lefebvre, le livre devrait intéresser tous les enseignants, bien qu'il vise les pédagogues de la maternelle et du jardin d'enfants.
«Nous ne voulons pas augmenter la charge de travail des enseignants, souligne-t-il. Notre objectif est d'enrichir ce qu'ils font déjà en classe tous les jours.»
Il convient avec M. Bolduc que les enseignants peuvent stimuler les capacités musicales et linguistiques des jeunes élèves sans posséder de compétences spécialisées dans le domaine. Les enseignants peuvent utiliser les comptines créées à cette fin ou les utiliser comme tremplin dans des activités semblables déjà effectuées en classe à partir de chansons.
«Le principal message de notre recherche est le suivant : dans les activités que nous menons déjà, il est possible de mieux préparer nos enfants à la lecture et à l'écriture», déclare M. Lefebvre. Il recommande aux enseignants d'envisager la possibilité d'utiliser un texte ordinaire afin de créer des occasions d'accroître la conscience phonologique.
«Quand je fais une activité avec des mots, une histoire, une comptine, ou un dépliant que j'apporte dans la classe, dans chacun de ces moments, je peux parler de signification (ce que le dépliant nous dit) et aussi des lettres et des sons qui s'y rattachent. Au lieu de penser "Je dois trouver un programme pour développer la conscience phonologique", les enseignants peuvent tirer parti des possibilités de tous les jours. Les vraies activités sont également plus logiques pour les élèves.»
Donner la clé aux élèves
M. Lefebvre est clair : «Ceci n'est pas un apprentissage hors contexte : "Aujourd'hui, nous allons travailler avec la lettre L". Non. Nous récitons une comptine où la lettre L réapparaît souvent. Il s'agit du même enseignement, on peut utiliser une occasion réelle qui est plus amusante.»
L'enseignement explicite ne doit pas être ennuyant. Il donne aux élèves la clé, une façon de penser à propos de ce qu'ils font.
«L'avantage se matérialise, constate Mme Pirkenne, quand l'élève pose une question.» Elle décrit un moment dans la classe quand les élèves cherchaient des mots commençant par la lettre V, comme Victor (un des élèves) et Mme Valérie. «Ce n'est pas exactement la même chose, insiste le petit Victor. Écoutez, Vi, Va, Vi, Va.» Elle les a écrits sur le tableau et a utilisé l'occasion pour montrer la différence entre le son des voyelles. Le garçon avait découvert un modèle qu'il comprenait. Plutôt tranquille jusqu'à ce jour, il débordait désormais d'enthousiasme.
Je pense que tous les enseignants aimeraient pouvoir offrir à leurs élèves les expériences les plus enrichissantes possibles, affirme Mme Morasse, c'était l'occasion de le faire.»
Jouer et apprendre en même temps
De retour au laboratoire, M. Bolduc écrit les mots de la comptine de M. Snifoti sur le tableau et demande aux élèves de frapper le rythme des mains. Il écrit trois lignes (parce que la quatrième répète la même phrase musicale que la première) et les intitule 1, 2, 3. «Mais M. Jonathan, notre comptine a quatre lignes!», s'exclame un élève. Un enfant de quatre ans profite de sa leçon de linguistique pour faire des mathématiques.
«La musique facilite l'apprentissage. Elle nous permet d'ouvrir les portes du savoir à nos enfants et de leur communiquer des leçons importantes. Par la musique, ils peuvent découvrir comment apprendre et jouer en même temps», conclut M. Bolduc.
Inventer des mots et imaginer le sens
Même en l'absence de compétences spécialisées en musique, les enseignantes et enseignants peuvent s'inspirer de l'étude menée par Jonathan Bolduc et Pascal Lefebvre. Par exemple, ils peuvent substituer des mots inventés dans les chansons et les comptines qu'ils utilisent déjà.
Voici une des comptines utilisées dans l'étude :
Snifoti a le nez
Plus long que ses pieds
Pendant qu'il mouche ses narines
Il tarlouche ses babines.
«Une fois que les élèves ont trouvé le mot inventé, qui est toujours un verbe, nous leur demandons : "Par quel mot peut-on le remplacer?"», explique Christel Pirkenne, orthophoniste.
C'est un bon défi à relever pour les élèves de quatre ans et même ceux de cinq ans.
«En premier, les élèves répondent : "Aucun. Vous avez dit que ce mot n'existait pas." Mais, après quelques minutes, ils saisissent le sens et suggèrent d'autres mots à substituer au mot inventé», ajoute-t-elle.
Dans cette comptine, ils pourraient proposer «pourlèche» ou «retrousse».
«Parfois, les élèves tentent de changer toute la ligne : "Mettre une robe", par exemple. Il faut donc souligner qu'on a besoin d'un seul mot pour remplacer le mot inventé.»