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Décembre 1999

Dans les coulisses de
Brandon Gate


AG00041_.gif (503 bytes) De retour à la page d’accueil

Les élèves d’une école d’un quartier multi-ethnique de Mississauga ont obtenu de très faibles résultats au premier test de 3e année de l’OQRE. Ces résultats ont galvanisé le personnel de l’école… et les résultats au test de l’an dernier furent une toute autre histoire.

de Wendy Harris

Nous sommes dans un quartier de Mississauga où de petites rues proprettes serpentent autour de maisons basses et d’arbres plus décoratifs qu’imposants. Ici et là se dressent des tours d’habitation. Au centre de cette enclave se situe l’école Brandon Gate, école publique évocatrice des années 70 où de grandes alvéoles, vastes espaces pouvant accueillir deux ou trois classes à la fois, remplacent les classes traditionnelles.

Voilà une image on ne peut plus rassurante. Les quelque 400 élèves du jardin à la 5e année sont très affairés, s’entassant dans les corridors en travaillant à leur plus récent projet et bondissant à l’extérieur au son de la cloche annonçant la récréation.

Mais tendez bien l’oreille et écoutez-les parler : on entend l’ourdou, le punjabi ou un autre dialecte régional. Certains parlent une langue encore moins connue, tandis que d’autres communiquent dans un anglais flou en gesticulant énergiquement.

Ce n’est pas une communauté comme les autres. Dans certaines de ces demeures banlieusardes vivent deux et parfois même trois ou quatre familles. Bien de ces familles arrivent de l’autre bout du monde. Elles sont arrivées avec leurs espoirs et leurs rêves d’une nouvelle vie prospère au Canada. Par-dessus tout, elles arrivent avec ce qu’elles ont de plus précieux : leurs enfants qui, l’espèrent-elles, pourront grandir, s’éduquer et contribuer à la société canadienne.

Comme l’explique Greg Bowman, directeur de Brandon Gate : «Les parents nous envoient leurs meilleurs enfants.» Mais certains de ces «meilleurs enfants» éprouvent des difficultés à l’école. Ils se retrouvent dans une culture étrangère pour laquelle ils ne sont pas préparés. Souvent, ils ne comprennent ni ne parlent l’anglais. De leur côté, les parents ont peine à se créer une nouvelle vie, vont d’un emploi à l’autre en quête de meilleures conditions, déménagent souvent et tentent de s’adapter à leur nouvelle vie.

«Il n’est pas inhabituel pour un élève de 2e année d’avoir changé d’école cinq ou six fois, ajoute Wendy Calder, enseignante de 1re année . Ces familles restent rarement au même endroit très longtemps. Pour bien des enfants, l’école est leur seule sécurité.»

UN COUP DUR

Malgré les défis apparents que doivent relever de nombreux élèves de Brandon Gate, les résultats de la première ronde des examens provinciaux administrés par l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE) au printemps de 1997 ont grandement surpris le personnel de l’école. Brandon Gate s’est classée parmi les dix écoles les plus faibles du très grand conseil de Peel.

La déception était grande pour Bowman, alors directeur adjoint de l’école. Les résultats l’ont atteint personnellement, comme un reflet de lui-même et de son travail d’éducateur. «J’avais honte.» Le personnel enseignant de l’école aussi : «Ce fut un dur coup à avaler», se rappelle Calder.

En plus de l’embarras, Bowman a ajouté que le personnel s’est senti accablé par une autre exigence provinciale, tout particulièrement quand il était en voie de mettre en œuvre un nouveau curriculum et obligé de produire un nouveau bulletin. En outre, bon nombre d’enseignantes et d’enseignants voyaient les tests provinciaux comme un instrument politique sans vraiment de liens avec l’éducation des enfants.

Au printemps 1998, les enseignantes et enseignants ont administré un examen aux élèves de 3e année dont les questions étaient tirées de l’examen de l’année précédente. Bowman était alors directeur d’école intérimaire et les résultats n’auguraient rien de bon. Les élèves de Brandon étaient à nouveau voués à l’échec. Or, les tests de l’OQRE avaient tout de même permis de déterminer les besoins des élèves.

Bowman avait donc le choix : il pouvait baisser les bras et s’avouer vaincu ou prendre les choses en main. Il s’est donné une deuxième chance. «Quand il est possible de prévoir les résultats de l’an prochain, a-t-on le droit de ne rien faire?» Mais il ne s’est pas arrêté là. «Que pouvons-nous faire de mieux pour nos élèves? Comment peut-on les aider à partir sur un pied d’égalité? Comment peut-on réduire les écarts en matière de compétences et de connaissances quand elles ont été relevées et ainsi donner aux enfants la meilleure chance qui soit?»

PEU DE TEMPS

L’examen devait avoir lieu à la dernière semaine de mai 1998 et nous étions déjà à la fin d’avril. Les élèves de 3e année n’étaient définitivement pas prêts pour la réussite. Et Bowman avait une idée plutôt insensée qui allait virer l’école sans dessus dessous.

Avec l’appui de son surintendant et de la présidente du conseil d’école, Bowman a organisé une rencontre où il a décrit un plan qui aurait une incidence sur chaque enseignante et enseignant de Brandon Gate. Nous «allons tout faire en notre pouvoir malgré le peu de temps à notre disposition, a-t-il ajouté. Nous allons orienter notre enseignement en fonction des écarts et ce, grâce à des stratégies qui permettront à nos élèves de mieux réussir… La tâche sera lourde, risquée et ardue.»

Bowman visait un réel travail d’équipe qui mobiliserait les compétences de tout son personnel, des élèves et des parents. Il a annoncé aux enseignantes et enseignants de Brandon Gate : «Cette initiative ne reflète en rien votre personnalité ni votre façon de travailler, mais constitue plutôt une intervention directe et dynamique qui vise à faire une différence et non seulement pour ces tests, mais aussi pour l’avenir.»

Il a d’abord réuni une équipe d’enseignantes chevronnées – déplaçant une enseignante de 5e année d’expérience, Tracey Ohori, à la 3e année et regroupant une classe de 1re et 2e année pour libérer une autre enseignante d’expérience, Marion Johnston, pour appuyer les trois enseignantes responsables de la prestation du programme.

Des lettres ont été envoyées au domicile des familles concernées pour dire aux parents où se trouveraient leurs enfants pendant le prochain mois. Cela lui a permis de considérablement réduire le rapport enseignant-élèves et de grouper les élèves par compétence en vue de l’apprentissage à venir. Bowman a fait preuve d’une grande créativité dans l’établissement de l’horaire pour que chaque exigence légale soit respectée au titre des élèves de l’enfance en difficulté et du programme d’anglais langue seconde et ce, tout en maintenant les normes éducationnelles de l’école.

Ensuite, il a présenté le thème pour l’ensemble de l’école qui servirait à ancrer l’apprentissage sur le point de s’amorcer. Pendant tout le mois de mai, tout Brandon Gate a vécu au rythme du thème Inventions, enquêtes et découvertes. Il était impossible de parler d’une théière ou d’une ampoule électrique ou même d’un trombone sans discuter de quoi l’objet était fait, de sa conception et de son fonctionnement.

APPRENDRE À PENSER

Enfin, Bowman a rassemblé une équipe d’éducatrices et d’éducateurs qui ont mis en œuvre leurs compétences et leur énergie pour que les élèves de 3e année apprennent à penser différemment. Les enseignantes-ressources de l’école, Phyllis Hendricks et Wendy Calder, qui était aussi directrice adjointe cette année-là, ont été désignées pour élaborer un plan et aider le personnel enseignant à réaliser les objectifs. Le personnel enseignant de 3e année – Ohori, Johnston et trois autres y étant déjà affectées, soit Angela James-Harris, Asgar Kapasi et Deborah Laughlin – étaient déjà prêtes. Tout était prêt pour l’un des mois les plus intenses jamais vécus.

Mais avant de donner le signal de départ, les enseignantes et enseignants ont dû mettre de côté leurs peurs et leur point de vue politique et être convaincus de la véritable valeur éducative du test. «Nous devions tous avoir les mêmes objectifs, ajoute Calder. Avec un test provincial, on craint souvent que tout ce qui comptera, ce sera la note finale. Il faut user de prudence et ne pas faire sentir aux enseignantes et enseignants qu’ils sont piégés. Il faut créer une atmosphère sans ombre d’intimidation.»

Tous s’entendent maintenant sur la préparation au test de l’OQRE : elle ne tient pas qu’à enseigner les exigences du nouveau curriculum en lecture, en écriture et en mathématiques, mais aussi, et cela est fort important, à enseigner aux élèves des stratégies de réflexion – non pas sur ce à quoi il faut réfléchir, mais comment réfléchir. Ce qui compte, ce n’est pas nécessairement la réponse, mais comment on y arrive – l’analyse des faits et non seulement les faits. «Ce test exige des élèves des compétences en réflexion plus avancées, ajoute Holly. On met davantage l’accent sur la communication et la capacité de démontrer les processus de réflexion.»

Le personnel enseignant a aussi réaliser que les tests provinciaux n’étaient pas réservés aux élèves de 3e année, mais qu’il s’agissait d’une initiative pour l’ensemble de l’école qui nécessiterait un revirement complet de la façon d’enseigner et une profonde volonté de changer les méthodes. «Parfois, il faut laisser de côté son ego, précise Bowman. Il n’est pas question ici d’être un bon ou un mauvais enseignant, mais bien de réussite scolaire et d’amélioration continue.»

Le message de Bowman n’a pas plu à tous sur le coup. Il a noté une certaine résistance initiale et une appréhension quant au projet. «Les gens ont tendance à rester en terrain familier.»

Mais d’après Holly, la force de la vision de Bowman était irrésistible. «Ce qui a vraiment fait la différence, c’est le leadership dont Greg a fait preuve avec son personnel. Son appui a été indéfectible. Il n’a pas hésité à dire que les enfants étaient capables de réussir. Il l’a répété aux enfants, aux parents, aux enseignantes et enseignants. Tout le monde a fait sa part.»

ON PEUT EXIGER DAVANTAGE

La première tâche d’Ohori, qui avait été retirée de sa classe de 5e année pour enseigner à la 3e année pendant ces trois semaines décisives de mai, a été de modifier sa propre façon de penser. Elle a dû reconnaître qu’il «était correct d’exiger davantage de ses élèves», même si certains d’entre eux n’avaient que peu d’appui à la maison étant donné les obstacles à la communication et le manque de connaissances de l’anglais comme langue seconde.

James-Harris a aussi dû changer sa façon de voir ses élèves. Depuis, elle exige que tous aient une vision claire et n’hésite pas à demander des réponses plus détaillées de ses élèves, même s’ils butent sur chaque mot.

Bien que Johnston admette que sa méthode a toujours été très pratique pendant ses 32 années d’expérience à l’élémentaire, elle l’a été davantage. «Tout ce que je fais dans ma classe part d’une réflexion totale, mais j’en demande certainement plus aux élèves aujourd’hui qu’auparavant.»

Au cœur de ce blitz pédagogique, il a fallu s’assurer que les élèves ont un modèle dont chaque étape est bien comprise et sur laquelle il y a eu réflexion. «Nous avons dû montrer exactement là où nous voulions en venir», a ajouté Calder.

L’une des méthodes pédagogiques retenues par Hendricks et Holly se nomme l’échafaudage. Elle permet aux élèves, tout particulièrement ceux qui ont une connaissance limitée de l’anglais, de réduire la complexité d’une question du test d’abord en déterminant les mots clés leur indiquant quoi faire, puis en suivant leur réflexion logiquement par une réponse.

Ce processus, dit Calder, pousse l’enfant à se donner une séquence linguistique sur laquelle s’appuyer : «d’abord j’ai fait ceci, puis j’ai fait cela et enfin, j’ai fait cela». Ce type de pyramide mène à une conclusion. Souvent, on demandait aux enfants de d’abord donner une réponse verbale puis de l’écrire. Sans cesse, on a répété l’explication de stratégies spécifiques d’analyse de questions. Les enfants savaient quels étaient les objectifs. Les directives étaient claires et précises.

«L’énergie était très canalisée, mais tout ce qui a été fait se retrouve dans un programme ordinaire, a précisé Calder. Nous voulons que les élèves comprennent le processus et qu’ils y réfléchissent.»

LES NOUVEAUX RÉSULTATS

Enfin, après un mois de durs labeurs, l’examen a été administré. Après quelques mots d’encouragement des enseignantes, tous se sont tus et les élèves ont commencé à répondre aux questions du test. Le plan de Bowman réussira-t-il? Est-il possible que trois semaines et demie de travail sans relâche fassent la différence?

L’automne dernier, après des mois d’attente, les résultats arrivèrent. Cette fois-ci, à l’annonce des résultats, on voyait des sourires dans les corridors de Brandon Gate. Les nouvelles étaient meilleures que ce à quoi l’on s’attendait. Et de beaucoup.

Brandon Gate était passée au premier tiers des écoles de Peel. La proportion des élèves dont les notes en lecture étaient à C ou plus était passée de 56 à 91 pour 100.

En écriture, cette proportion passait de 75 à 93 pour 100. Pour couronner le tout, en mathématiques, la proportion des élèves qui avaient obtenu C ou plus avait presque doublé, allant de 47 à 91 pour 100.

Les élèves de Brandon Gate avaient gagné bien plus que les autocollants, les bonbons et les félicitations pour du travail bien fait. Ils avaient donné un sens à leur fierté d’avoir réussi qui s’était reflété sur tous. Ils ont réussi à combler des écarts dans leur apprentissage qui les auraient ralentis pour le restant de leurs études.

Néanmoins, Bowman demeure philosophe devant cette réalisation scolaire. «Il est impossible d’être perdant si on le fait pour les élèves. Même si les résultats avaient été négatifs, l’expérience aurait été positive au plan de l’apprentissage. Heureusement, les résultats ont été au-delà des attentes.»

Bien que moins impressionnante qu’en 1998, la préparation pour le test de 1999 avait l’avantage d’une équipe préparée dont le personnel savait à quelles stratégies s’en remettre pour assurer la réussite des élèves. À nouveau, il a fallu garantir un rapport enseignant-élèves suffisamment bas pour favoriser l’apprentissage. Les enfants ont été regroupés selon leurs compétences. Puis le travail a commencé par des questions qui, à nouveau, exigeaient une réelle réflexion de la part des élèves et en trouvant des exemples de ce à quoi devaient ressembler les réponses.

Au premier plan des stratégies : encourager les élèves à développer des compétences en écoute et sur la façon de répondre à une question. Ces compétences étaient parfois trop avancées pour eux, tout particulièrement au début de l’année. «Au plan du développement, l’adaptation est difficile à faire, les questions du test de l’OQRE étant différentes, ajoute Bowman. Il faut aller au-delà de la répétition. Le plus tôt ils commenceront à se servir de ce type de réflexion, le mieux ce sera pour eux.»

En outre, les enseignantes et enseignants ont continué à insister sur l’importance des séquences et se sont servi d’une variété d’aides visuels et graphiques pour aider leurs élèves à faire le tri dans ce qui peut devenir une montagne d’information infranchissable. Enfin, le personnel enseignant n’a pas cessé de demander aux élèves de se dépasser. «Il faut poser des questions de niveau de 4e année pour que les enfants puissent faire le pas vers l’avant, ajoute Johnston. Nous nous sommes concentrés sur le type de questions qu’il fallait poser pour passer à un niveau supérieur.»

Les élèves de Brandon Gate ont continué de s’améliorer dans presque chaque catégorie. Cette année, la proportion des élèves de 3e année qui ont obtenu au moins la cote C en lecture est demeurée à 91 pour 100, soit un pourcentage supérieur à la moyenne provinciale de 85 pour 100. Les résultats en écriture sont passés de 93 pour 100 à 95 pour 100 des élèves ayant obtenu la cote C ou moins, égalant presque la moyenne provinciale. Les mathématiques représentent le seul domaine où les élèves ont connu un certain recul, passant de 91 pour 100 à 89 pour 100.

«Nous avons de nombreux élèves qui obtiennent un résultat de beaucoup supérieur à la moyenne provinciale; ces résultats nous satisfont grandement», dit Bowman.

«Nous savons qu’ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient, ajoute James-Harris. C’est tout ce que nous voulions qu’ils fassent, nous donner le meilleur reflet d’eux-mêmes.»

Vous pouvez joindre le personnel de l’école publique Brandon Gate à gregory.bowman@peelsb.com.