Les élèves dune
école dun quartier multi-ethnique de Mississauga ont obtenu de très faibles
résultats au premier test de 3e année de lOQRE. Ces résultats ont
galvanisé le personnel de lécole
et les résultats au test de lan
dernier furent une toute autre histoire.
de Wendy Harris
Nous sommes dans un quartier de Mississauga où de petites rues proprettes
serpentent autour de maisons basses et darbres plus décoratifs quimposants.
Ici et là se dressent des tours dhabitation. Au centre de cette enclave se situe
lécole Brandon Gate, école publique évocatrice des années 70 où de grandes
alvéoles, vastes espaces pouvant accueillir deux ou trois classes à la fois, remplacent
les classes traditionnelles.
Voilà une image on ne peut plus rassurante. Les quelque 400 élèves du
jardin à la 5e année sont très affairés, sentassant dans les
corridors en travaillant à leur plus récent projet et bondissant à lextérieur au
son de la cloche annonçant la récréation.
Mais tendez bien loreille et écoutez-les parler : on entend
lourdou, le punjabi ou un autre dialecte régional. Certains parlent une langue
encore moins connue, tandis que dautres communiquent dans un anglais flou en
gesticulant énergiquement.
Ce nest pas une communauté comme les autres. Dans certaines de ces
demeures banlieusardes vivent deux et parfois même trois ou quatre familles. Bien de ces
familles arrivent de lautre bout du monde. Elles sont arrivées avec leurs espoirs
et leurs rêves dune nouvelle vie prospère au Canada. Par-dessus tout, elles
arrivent avec ce quelles ont de plus précieux : leurs enfants qui,
lespèrent-elles, pourront grandir, séduquer et contribuer à la société
canadienne.
Comme lexplique Greg Bowman, directeur de Brandon Gate : «Les
parents nous envoient leurs meilleurs enfants.» Mais certains de ces «meilleurs
enfants» éprouvent des difficultés à lécole. Ils se retrouvent dans une culture
étrangère pour laquelle ils ne sont pas préparés. Souvent, ils ne comprennent ni ne
parlent langlais. De leur côté, les parents ont peine à se créer une nouvelle
vie, vont dun emploi à lautre en quête de meilleures conditions,
déménagent souvent et tentent de sadapter à leur nouvelle vie.
«Il nest pas inhabituel pour un élève de 2e année
davoir changé décole cinq ou six fois, ajoute Wendy Calder, enseignante de 1re
année . Ces familles restent rarement au même endroit très longtemps. Pour bien
des enfants, lécole est leur seule sécurité.»
UN COUP DUR
Malgré les défis apparents que doivent relever de nombreux élèves de
Brandon Gate, les résultats de la première ronde des examens provinciaux administrés
par lOffice de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE) au
printemps de 1997 ont grandement surpris le personnel de lécole. Brandon Gate
sest classée parmi les dix écoles les plus faibles du très grand conseil de Peel.
La déception était grande pour Bowman, alors directeur adjoint de
lécole. Les résultats lont atteint personnellement, comme un reflet de
lui-même et de son travail déducateur. «Javais honte.» Le personnel
enseignant de lécole aussi : «Ce fut un dur coup à avaler», se rappelle Calder.
En plus de lembarras, Bowman a ajouté que le personnel sest
senti accablé par une autre exigence provinciale, tout particulièrement quand il était
en voie de mettre en uvre un nouveau curriculum et obligé de produire un nouveau
bulletin. En outre, bon nombre denseignantes et denseignants voyaient les
tests provinciaux comme un instrument politique sans vraiment de liens avec
léducation des enfants.
Au printemps 1998, les enseignantes et enseignants ont administré un
examen aux élèves de 3e année dont les questions étaient tirées de
lexamen de lannée précédente. Bowman était alors directeur décole
intérimaire et les résultats nauguraient rien de bon. Les élèves de Brandon
étaient à nouveau voués à léchec. Or, les tests de lOQRE avaient tout de
même permis de déterminer les besoins des élèves.
Bowman avait donc le choix : il pouvait baisser les bras et savouer
vaincu ou prendre les choses en main. Il sest donné une deuxième chance. «Quand
il est possible de prévoir les résultats de lan prochain, a-t-on le droit de ne
rien faire?» Mais il ne sest pas arrêté là. «Que pouvons-nous faire de mieux
pour nos élèves? Comment peut-on les aider à partir sur un pied dégalité?
Comment peut-on réduire les écarts en matière de compétences et de connaissances quand
elles ont été relevées et ainsi donner aux enfants la meilleure chance qui soit?»
PEU DE TEMPS
Lexamen devait avoir lieu à la dernière semaine de mai 1998 et
nous étions déjà à la fin davril. Les élèves de 3e année
nétaient définitivement pas prêts pour la réussite. Et Bowman avait une idée
plutôt insensée qui allait virer lécole sans dessus dessous.
Avec lappui de son surintendant et de la présidente du conseil
décole, Bowman a organisé une rencontre où il a décrit un plan qui aurait une
incidence sur chaque enseignante et enseignant de Brandon Gate. Nous «allons tout faire
en notre pouvoir malgré le peu de temps à notre disposition, a-t-il ajouté. Nous allons
orienter notre enseignement en fonction des écarts et ce, grâce à des stratégies qui
permettront à nos élèves de mieux réussir
La tâche sera lourde, risquée et
ardue.»
Bowman visait un réel travail déquipe qui mobiliserait les
compétences de tout son personnel, des élèves et des parents. Il a annoncé aux
enseignantes et enseignants de Brandon Gate : «Cette initiative ne reflète en rien votre
personnalité ni votre façon de travailler, mais constitue plutôt une intervention
directe et dynamique qui vise à faire une différence et non seulement pour ces tests,
mais aussi pour lavenir.»
Il a dabord réuni une équipe denseignantes chevronnées
déplaçant une enseignante de 5e année dexpérience, Tracey
Ohori, à la 3e année et regroupant une classe de 1re et 2e
année pour libérer une autre enseignante dexpérience, Marion Johnston, pour
appuyer les trois enseignantes responsables de la prestation du programme.
Des lettres ont été envoyées au domicile des familles concernées pour
dire aux parents où se trouveraient leurs enfants pendant le prochain mois. Cela lui a
permis de considérablement réduire le rapport enseignant-élèves et de grouper les
élèves par compétence en vue de lapprentissage à venir. Bowman a fait preuve
dune grande créativité dans létablissement de lhoraire pour que
chaque exigence légale soit respectée au titre des élèves de lenfance en
difficulté et du programme danglais langue seconde et ce, tout en maintenant les
normes éducationnelles de lécole.
Ensuite, il a présenté le thème pour lensemble de lécole
qui servirait à ancrer lapprentissage sur le point de samorcer. Pendant tout
le mois de mai, tout Brandon Gate a vécu au rythme du thème Inventions, enquêtes et
découvertes. Il était impossible de parler dune théière ou dune ampoule
électrique ou même dun trombone sans discuter de quoi lobjet était fait, de
sa conception et de son fonctionnement.
APPRENDRE À PENSER
Enfin, Bowman a rassemblé une équipe déducatrices et
déducateurs qui ont mis en uvre leurs compétences et leur énergie pour que
les élèves de 3e année apprennent à penser différemment. Les
enseignantes-ressources de lécole, Phyllis Hendricks et Wendy Calder, qui était
aussi directrice adjointe cette année-là, ont été désignées pour élaborer un plan
et aider le personnel enseignant à réaliser les objectifs. Le personnel enseignant de 3e
année Ohori, Johnston et trois autres y étant déjà affectées, soit Angela
James-Harris, Asgar Kapasi et Deborah Laughlin étaient déjà prêtes. Tout était
prêt pour lun des mois les plus intenses jamais vécus.
Mais avant de donner le signal de départ, les enseignantes et enseignants
ont dû mettre de côté leurs peurs et leur point de vue politique et être convaincus
de la véritable valeur éducative du test. «Nous devions tous avoir les mêmes
objectifs, ajoute Calder. Avec un test provincial, on craint souvent que tout ce qui
comptera, ce sera la note finale. Il faut user de prudence et ne pas faire sentir aux
enseignantes et enseignants quils sont piégés. Il faut créer une atmosphère sans
ombre dintimidation.»
Tous sentendent maintenant sur la préparation au test de
lOQRE : elle ne tient pas quà enseigner les exigences du nouveau curriculum
en lecture, en écriture et en mathématiques, mais aussi, et cela est fort important, à
enseigner aux élèves des stratégies de réflexion non pas sur ce à quoi il faut
réfléchir, mais comment réfléchir. Ce qui compte, ce nest pas nécessairement la
réponse, mais comment on y arrive lanalyse des faits et non seulement les
faits. «Ce test exige des élèves des compétences en réflexion plus avancées, ajoute
Holly. On met davantage laccent sur la communication et la capacité de démontrer
les processus de réflexion.»
Le personnel enseignant a aussi réaliser que les tests provinciaux
nétaient pas réservés aux élèves de
3e année, mais quil sagissait dune initiative pour
lensemble de lécole qui nécessiterait un revirement complet de la façon
denseigner et une profonde volonté de changer les méthodes. «Parfois, il faut
laisser de côté son ego, précise Bowman. Il nest pas question ici dêtre un
bon ou un mauvais enseignant, mais bien de réussite scolaire et damélioration
continue.»
Le message de Bowman na pas plu à tous sur le coup. Il a noté une
certaine résistance initiale et une appréhension quant au projet. «Les gens ont
tendance à rester en terrain familier.»
Mais daprès Holly, la force de la vision de Bowman était
irrésistible. «Ce qui a vraiment fait la différence, cest le leadership dont Greg
a fait preuve avec son personnel. Son appui a été indéfectible. Il na pas
hésité à dire que les enfants étaient capables de réussir. Il la répété aux
enfants, aux parents, aux enseignantes et enseignants. Tout le monde a fait sa part.»
ON PEUT EXIGER DAVANTAGE
La première tâche dOhori, qui avait été retirée de sa classe de
5e année pour enseigner à la 3e année pendant ces trois semaines
décisives de mai, a été de modifier sa propre façon de penser. Elle a dû reconnaître
quil «était correct dexiger davantage de ses élèves», même si certains
dentre eux navaient que peu dappui à la maison étant donné les
obstacles à la communication et le manque de connaissances de langlais comme langue
seconde.
James-Harris a aussi dû changer sa façon de voir ses élèves. Depuis,
elle exige que tous aient une vision claire et nhésite pas à demander des
réponses plus détaillées de ses élèves, même sils butent sur chaque mot.
Bien que Johnston admette que sa méthode a toujours été très pratique
pendant ses 32 années dexpérience à lélémentaire, elle la été
davantage. «Tout ce que je fais dans ma classe part dune réflexion totale, mais
jen demande certainement plus aux élèves aujourdhui quauparavant.»
Au cur de ce blitz pédagogique, il a fallu sassurer que les
élèves ont un modèle dont chaque étape est bien comprise et sur laquelle il y a eu
réflexion. «Nous avons dû montrer exactement là où nous voulions en venir», a
ajouté Calder.
Lune des méthodes pédagogiques retenues par Hendricks et Holly se
nomme léchafaudage. Elle permet aux élèves, tout particulièrement ceux qui ont
une connaissance limitée de langlais, de réduire la complexité dune
question du test dabord en déterminant les mots clés leur indiquant quoi faire,
puis en suivant leur réflexion logiquement par une réponse.
«Lénergie était très canalisée, mais tout ce qui a été fait
se retrouve dans un programme ordinaire, a précisé Calder. Nous voulons que les élèves
comprennent le processus et quils y réfléchissent.»
LES NOUVEAUX RÉSULTATS
Enfin, après un mois de durs labeurs, lexamen a été administré.
Après quelques mots dencouragement des enseignantes, tous se sont tus et les
élèves ont commencé à répondre aux questions du test. Le plan de Bowman
réussira-t-il? Est-il possible que trois semaines et demie de travail sans relâche fassent
la différence?
Lautomne dernier, après des mois dattente, les résultats
arrivèrent. Cette fois-ci, à lannonce des résultats, on voyait des sourires dans
les corridors de Brandon Gate. Les nouvelles étaient meilleures que ce à quoi lon
sattendait. Et de beaucoup.
Brandon Gate était passée au premier tiers des écoles de Peel. La
proportion des élèves dont les notes en lecture étaient à C ou plus était passée de
56 à 91 pour 100.
En écriture, cette proportion passait de 75 à 93 pour 100. Pour
couronner le tout, en mathématiques, la proportion des élèves qui avaient obtenu C ou
plus avait presque doublé, allant de 47 à 91 pour 100.
Les élèves de Brandon Gate avaient gagné bien plus que les
autocollants, les bonbons et les félicitations pour du travail bien fait. Ils avaient
donné un sens à leur fierté davoir réussi qui sétait reflété sur tous.
Ils ont réussi à combler des écarts dans leur apprentissage qui les auraient ralentis pour le restant
de leurs études.
Néanmoins, Bowman demeure philosophe devant cette réalisation scolaire.
«Il est impossible dêtre perdant si on le fait pour les élèves. Même si les
résultats avaient été négatifs, lexpérience aurait été positive au plan de
lapprentissage. Heureusement, les résultats ont été au-delà des attentes.»
Bien que moins impressionnante quen 1998, la préparation pour le
test de 1999 avait lavantage dune équipe préparée dont le personnel savait
à quelles stratégies sen remettre pour assurer la réussite des élèves. À
nouveau, il a fallu garantir un rapport enseignant-élèves suffisamment bas pour
favoriser lapprentissage. Les enfants ont été regroupés selon leurs compétences.
Puis le travail a commencé par des questions qui, à nouveau, exigeaient une réelle
réflexion de la part des élèves et en trouvant des exemples de ce à quoi devaient
ressembler les réponses.
Au premier plan des stratégies : encourager les élèves à développer
des compétences en écoute et sur la façon de répondre à une question. Ces
compétences étaient parfois trop avancées pour eux, tout particulièrement au début de
lannée. «Au plan du développement, ladaptation est difficile à faire, les
questions du test de lOQRE étant différentes, ajoute Bowman. Il faut aller
au-delà de la répétition. Le plus tôt ils commenceront à se servir de ce type de
réflexion, le mieux ce sera pour eux.»
En outre, les enseignantes et enseignants ont continué à insister sur
limportance des séquences et se sont servi dune variété daides
visuels et graphiques pour aider leurs élèves à faire le tri dans ce qui peut devenir
une montagne dinformation infranchissable. Enfin, le personnel enseignant na
pas cessé de demander aux élèves de se dépasser. «Il faut poser des questions de
niveau de 4e année pour que les enfants puissent faire le pas
vers lavant, ajoute Johnston. Nous nous sommes concentrés sur le type de questions
quil fallait poser pour passer à un niveau supérieur.»
Les élèves de Brandon Gate ont continué de saméliorer dans
presque chaque catégorie. Cette année, la proportion des élèves de 3e
année qui ont obtenu au moins la cote C en lecture est demeurée à 91 pour 100, soit un
pourcentage supérieur à la moyenne provinciale de 85 pour 100. Les résultats en
écriture sont passés de 93 pour 100 à 95 pour 100 des élèves ayant obtenu la
cote C ou moins, égalant presque la moyenne provinciale. Les mathématiques représentent le seul
domaine où les élèves ont connu un certain recul, passant de 91 pour 100 à 89 pour
100.
«Nous avons de nombreux élèves qui obtiennent un résultat de beaucoup
supérieur à la moyenne provinciale; ces résultats nous satisfont grandement», dit
Bowman.
«Nous savons quils ont fait du mieux quils pouvaient, ajoute
James-Harris. Cest tout ce que nous voulions quils fassent, nous donner le
meilleur reflet deux-mêmes.»
Vous pouvez joindre le personnel de lécole publique Brandon
Gate à gregory.bowman@peelsb.com.