wpe8.jpg (114956 bytes)
Décembre 1999

Le mentorat au
nouveau millénaire


AG00041_.gif (503 bytes) De retour à la page d’accueil

La profession subit de profonds changements et les nouveaux enseignants et enseignantes, tout comme ceux qui sont expérimentés, ont besoin de mentors. Mais le concept et la pratique du mentorat doivent eux aussi changer radicalement.

d’Andy Hargreaves et Michael Fullan

Un patient meurt, un édifice s’écroule, un élève abandonne ses études. Telles peuvent être les conséquences d’un jugement professionnel déficient. C’est pourquoi l’idée que les recrues dans une profession ont besoin d’un mentor pour les aider à acquérir les aptitudes nécessaires à l’exercice de leur métier et à maîtriser le stress est de mieux en mieux acceptée.

Toutefois, dans le domaine de l’enseignement, bien que des programmes d’initiation à l’enseignement et de mentorat aient été mis sur pied depuis une dizaine d’années, leur mise en œuvre a été par trop souvent décevante. Or, lorsque la pratique du mentorat n’atteint pas l’idéal que l’on en a, ce ne sont pas les politiques ou la conception des programmes qu’il faut incriminer, mais le fait que nous ne considérons pas le mentorat comme faisant partie intégrante de l’enseignement et du professionnalisme en général.

Le mentorat des nouveaux venus en enseignement atteindra son plein potentiel le jour où les enseignantes et enseignants comprendront qu’il joue un rôle essentiel dans la transformation de la profession enseignante elle-même. L’histoire montre que les façons d’approcher le mentorat ont changé au fur et à mesure que le modèle de professionnalisme en enseignement a évolué.

L’ÈRE PRÉPROFESSIONNELLE

À ses débuts, le système d’éducation publique s’apparentait à un système d’éducation de masse. Les méthodes d’enseignement de base consistaient la plupart du temps à réciter ou à écouter un cours magistral, ainsi qu’à prendre des notes, à remplir des bulletins de questions-réponses et à faire du travail assis. Dans cette ère préprofessionnelle, l’enseignement était considéré comme exigeant au plan de la gestion, mais simple au plan technique. Ses principes et paramètres étaient traités comme une simple question de bon sens.

Selon cette perspective, les enseignantes et enseignants sont, dans le meilleur des cas, des enthousiastes qui savent de quoi ils parlent et comment transmettre leur savoir, et sont en mesure de faire régner l’ordre dans leur classe. Ils apprennent à enseigner en observant les autres dans l’exercice de la profession, d’abord en tant qu’élèves, puis en tant qu’étudiants-enseignants. D’après cette vision préprofessionnelle de l’enseignement, les besoins du personnel enseignant en ce qui a trait à la formation initiale et au perfectionnement professionnel sont peu élevés. Ils raffinent leurs connaissances sur le terrain, dans la classe où ils enseignent. Le mentorat se réduit ici à quelques mots d’encouragement, à des conseils de gestion éventuellement offerts dans la salle du personnel – sinon, les nouveaux enseignants et enseignantes doivent se débrouiller tout seuls. Mais peut-on vraiment parler de mentorat?

LE PROFESSIONNEL AUTONOME

À partir des années 60, le statut et la situation du corps enseignant se sont considérablement améliorés dans de nombreux pays, par rapport à l’ère préprofessionnelle. Pendant cette période, les termes «professionnel» et «autonomie» sont devenus de plus en plus indissociables dans le milieu enseignant. L’enseignement se caractérisait alors surtout par l’individualisme. La plupart des enseignantes et enseignants exerçaient leur métier dans l’isolement le plus total.

L’autonomie professionnelle a renforcé le statut des enseignantes et enseignants tandis que la formation initiale s’est prolongée et que les salaires se sont élevés. Mais cette autonomie professionnelle a également freiné l’innovation.

Les acquis du perfectionnement professionnel étaient rarement appliqués en classe, car ceux qui avaient suivi des cours retrouvaient à l’école où ils enseignaient des collègues peu enthousiastes qui n’avaient pas partagé cette expérience d’apprentissage avec eux. La pédagogie stagnait donc étant donné leur réticence à se distinguer de leurs collègues.

On a commencé à introduire des programmes d’initiation à l’enseignement et de mentorat dans une profession que l’on reconnaissait maintenant comme étant plus difficile. Toutefois, la tradition d’individualisme environnante signifiait que les relations d’aide au sein d’une école se limitaient au mentorat des nouveaux venus. Le message transmis était que seuls les novices ou les incompétents avaient besoin d’aide. Les autres pouvaient très bien se débrouiller par eux-mêmes.

La notion d’aide étant associée à celle de faiblesse, rien d’étonnant alors à ce que les nouveaux enseignants et enseignantes cherchent à s’en défaire aussi vite que possible. L’ère de l’autonomie professionnelle n’a pas donné aux enseignantes et enseignants une préparation suffisante pour faire face aux changements sans précédent qui les attendaient et contre lesquels les portes de la classe offraient peu de protection.

LE PROFESSIONNALISME COLLECTIF

Au milieu des années 80, l’autonomie des enseignantes et enseignants ne répondait plus aux complexités croissantes de l’école; or, en raison de la persistance de l’individualisme dans l’enseignement, les réponses des enseignantes et enseignants aux défis à relever étaient improvisées, non coordonnées aux efforts de leurs collègues et s’appuyaient sur des taux de perfectionnement de leurs propres connaissances et compétences.

Pourtant, les raisons de créer des mécanismes de collaboration ne manquaient pas : explosion des connaissances, renforcement des exigences du curriculum, élèves en difficulté plus nombreux et diversifiés dans les classes ordinaires et accélération du rythme du changement.

De nos jours, les écoles intensifient leurs efforts pour construire un cadre de collaboration professionnelle solide. D’après les études effectuées, cela aide les membres du corps enseignant à développer le sens de la poursuite d’un objectif commun, à affronter les incertitudes et la complexité de la profession, à bien répondre au changement rapide, à créer un climat de prise de risques et d’amélioration continue et à renforcer leur sentiment d’un enseignement efficace.

Le professionnalisme collectif a des incidences importantes sur la formation initiale à l’enseignement, le perfectionnement professionnel et le mentorat.

  • Les enseignantes et enseignants doivent apprendre à utiliser des méthodes d’enseignement différentes de celles que leurs enseignants utilisaient.
  • La formation est considérée comme un processus continu qui consiste à débattre de questions complexes et en évolution.
  • Le perfectionnement professionnel est à la fois une responsabilité individuelle et une obligation institutionnelle.
  • Le perfectionnement professionnel n’exige pas de choisir entre un mode de prestation à l’école ou à l’extérieur de l’école, mais d’essayer d’intégrer activement les deux modes et de parvenir à une synergie entre les deux.
  • Le professionnalisme collectif consiste à collaborer avec ses collègues, mais aussi à apprendre à leur contact.
  • L’enseignement doit être structuré et éclairé par des normes d’exercice de la profession qui définissent les compétences requises pour enseigner, ainsi que les qualités et dispositions à démontrer pour s’occuper des élèves et établir des liens avec eux.

LA QUATRIÈME ÈRE PROFESSIONNELLE

Le monde dans lequel nous vivons subit de profondes transformations sociales, économiques, politiques et culturelles. Les frontières entre les institutions se dissolvent, les rôles deviennent de moins en moins séparés.

Le monde extérieur s’infiltre maintenant dans ce qui se passe dans l’enceinte de l’école, ce qui a des répercussions importantes sur le rôle des enseignantes et enseignants et de l’administration. Les membres du corps enseignant doivent apprendre à travailler avec des communautés plus diversifiées, à considérer les parents comme une source d’apprentissage et de soutien plutôt que d’interférence et à collaborer avec des organismes sociaux.

Le contenu du perfectionnement professionnel doit maintenant s’étendre et s’approfondir pour englober les aspects suivants : travailler avec les parents, se familiariser avec les évaluations relatives aux normes et aux données sur l’apprentissage des élèves, se tenir au courant des percées scientifiques en pédagogie, raviver la passion et la motivation d’enseigner et collaborer avec les collègues afin de favoriser des réformes positives de l’éducation.

LE MENTORAT AU NOUVEAU MILLÉNAIRE

Après avoir cru pendant des décennies que les enseignantes et enseignants travaillaient en vase clos, qu’ils apprenaient (ou non) par eux-mêmes et que ce n’était qu’avec le temps qu’ils s’amélioraient – en général, seul et à tâtons – on pense maintenant de plus en plus que tous les enseignants et enseignantes sont plus efficaces s’ils sont soutenus par un solide groupe de collègues et que les nouveaux venus ont tout intérêt à avoir un mentor qui leur sert de guide et de conseiller.

En outre, les mentors ont tout autant à gagner de leurs stagiaires que l’inverse : ces derniers leur permettent d’entrevoir de nouvelles perspectives sur leur façon d’enseigner et sur celle des autres, de nouer de nouvelles relations et de faire renaître leur engagement et leur enthousiasme envers leur métier.

Un nombre croissant d’études se consacre à des questions clés comme le choix des mentors, la façon d’accorder les mentors aux stagiaires, la nature – formelle ou non – de leurs relations, la façon dont les mentors devraient être payés ou récompensés plus généralement en échange de leur contribution et où trouver le temps de faire du mentorat.

Quels sont les défis posés par le mentorat à l’aube du nouveau millénaire? Quatre principaux domaines de changement incitent les éducatrices et éducateurs à envisager le mentorat de manière différente à l’ère postmoderne.

MENTORS MAIS PAS TOURMENTEURS

Enseigner est devenu incroyablement plus complexe au cours des dernières années. Les répertoires de classe s’étendent en raison des progrès accomplis en sciences de l’éducation – constructivisme, apprentissage coopératif, stratégies de métacognition et d’évaluation, entre autres – de la percée des technologies de l’information et du défi présenté par la nécessité d’adapter l’instruction aux besoins et styles d’apprentissage d’élèves provenant de milieux culturels divers et d’élèves en difficulté.

Ces progrès représentent un défi pour les enseignants et enseignantes, qu’ils soient nouveaux ou expérimentés. Le vieux modèle de mentorat selon lequel des experts sûrs de détenir les clefs du savoir en transmettent les principes à des novices avides d’apprendre n’a plus cours.

Bien qu’il soit toujours possible de trouver des exceptions – des superenseignants qui connaissent et appliquent les nouvelles stratégies d’enseignement – ces personnes, qu’elles exercent dans des écoles de formation ou ailleurs, sont rares et peuvent vite être surchargées.

De nos jours, bien qu’il arrive que des mentors en sachent plus que les nouveaux enseignants et enseignantes sur les procédures scolaires ou la gestion de la classe par exemple, ces derniers sont plus au fait des nouvelles stratégies d’enseignement.

Cependant, si dans une école, on part du principe que le mentor en sait toujours plus, même en ce qui a trait aux stratégies d’enseignement, les nouveaux venus désireux d’innover pourraient rapidement percevoir la relation avec le mentor comme oppressive. Les mentors pourraient leur apparaître davantage comme des tourmenteurs, et le processus d’initiation à la profession pourrait au contraire amener les nouvelles recrues à s’éloigner des objectifs et des pratiques préconisés dans le cadre du programme de formation initiale.

L’époque à laquelle nous vivons exige que les relations avec le mentor soient moins hiérarchisées, que tout le monde reconnaisse que l’enseignement est un métier difficile en soi et qu’il existe de nombreux problèmes de pratique pour lesquels même les «experts» n’ont pas de réponse toute faite. Cela suppose aussi que la relation avec le mentor ne soit pas la seule relation de soutien dans une école. Dans l’exercice d’un métier considéré comme complexe et difficile de par sa nature, tout le monde, et pas seulement l’enseignante ou enseignant incompétent ou le novice, a besoin d’aide.

L’IMPORTANCE DU SOUTIEN ÉMOTIONNEL

L’enseignement fait appel aux émotions. Il suscite des sentiments chez les enseignantes et enseignants comme chez les élèves. Enseigner, ce n’est pas seulement dispenser une instruction aux élèves, c’est aussi se soucier de leur bien-être, nouer des liens avec eux. Étant donné les conditions dans lesquelles vivent les enfants dans de nombreuses familles postmodernes aujourd’hui – familles éclatées, pauvres, monoparentales – cette charge est devenue de plus en plus lourde.

Enseigner n’équivaut pas simplement à maîtriser un ensemble de compétences; c’est un métier qui exige que les enseignantes et enseignants donnent constamment d’eux-mêmes. Le rythme accéléré des changements, qu’ils soient choisis ou imposés, peut créer encore plus d’anxiété et d’insécurité chez bon nombre d’entre eux tandis que leur compétence et leur confiance en eux sont remises en question par la nécessité de maîtriser de nouvelles stratégies.

Étant donné les efforts déployés pour standardiser l’enseignement – pour le définir et le diviser en niveaux et en normes de connaissances et d’habiletés – on peut facilement perdre de vue la dimension émotionnelle de l’enseignement, l’enthousiasme, la passion, l’empathie, la sagesse, l’inspiration et le dévouement de bien des enseignantes et enseignants qui exercent leur métier d’une manière absolument fantastique.

Si les émotions sont une source de stimulation pour les membres du corps enseignant, elles peuvent également les miner. L’un des besoins les plus marqués des débutants est celui de soutien émotionnel. Dans les classes particulièrement éprouvantes au plan émotionnel que l’on connaît de nos jours, les enseignantes et enseignants expérimentés ont eux aussi besoin de ce type de soutien – d’exprimer leurs émotions et d’en parler, de gérer et de contrôler leurs inquiétudes et leurs frustrations, d’être guidés et rassurés quant aux limites de l’attention qu’ils peuvent prodiguer lorsque la crainte de ne pas en faire assez risque de les submerger.

Un aspect important du mentorat consiste, par conséquent, à faire plus que de guider des stagiaires parmi les normes d’apprentissage et les compétences; il doit aussi leur fournir un soutien émotionnel solide et constant. Dans les écoles secondaires, le soutien émotionnel des élèves ne doit pas seulement être du ressort d’un ou deux orienteurs, mais la responsabilité de tout le personnel enseignant. Parallèlement, la responsabilité d’offrir un soutien émotionnel au corps enseignant ne doit pas qu’être endossée par quelques mentors désignés, mais bien s’étendre à tous ceux qui enseignent dans une école.

LE RÔLE GRANDISSANT DES COMMUNAUTÉS

Un troisième moteur de changement à l’ère postmoderne est le fait qu’une transparence accrue, un choix d’écoles plus étendu et des changements culturels importants dans les familles et les communautés ont pour effet d’établir davantage de liens entre les enseignantes et enseignants et les individus et groupes à l’extérieur de l’école.

Un bon mentorat consiste donc à aider les membres du corps enseignant à travailler efficacement avec des adultes, à être sûrs – en tant que groupe de professionnels – de leur jugement tout en étant ouverts et à l’écoute des opinions des autres. Les enseignantes et enseignants ont des choses importantes à apprendre des parents et des autres membres de la communauté, sur des enfants auxquels ils enseignent et parfois même – par exemple, en ce qui concerne la technologie de l’information – sur des méthodes d’enseignement à employer.

Les enseignantes et enseignants ne sont pas toujours les experts; collaborer efficacement avec d’autres adultes suppose qu’ils sont parfois placés dans la position de l’apprenant. Comme Willard Waller l’a observé dans un document écrit en 1932, intitulé The Sociology of Teaching, «Dans la relation parents-enseignants, les écoles ont surtout essayé de s’assurer du soutien des parents, c’est-à-dire de faire en sorte que les parents voient les enfants plus ou moins à la manière des enseignants. Mais il serait bien triste pour les enfants si la relation parents-enseignants se limitait à cela.»

LE FACTEUR DÉMOGRAPHIQUE

Les enseignantes et enseignants recrutés dans les années 60 et 70 pour éduquer la génération du baby-boom s’apprêtent maintenant à prendre la retraite, si ce n’est pas déjà fait. Au cours des cinq prochaines années, le corps enseignant va être renouvelé de façon massive, alors qu’un grand nombre de jeunes enseignantes et enseignants fera son entrée dans la profession.

Au cours des deux dernières décennies, le nombre de débutants était faible dans la plupart des écoles et de nombreux enseignants et enseignantes expérimentés étaient susceptibles d’être leurs mentors. Ces derniers ont pu initier les nouveaux venus aux mécanismes traditionnels de l’école, et c’est un fait prouvé que les enseignantes et enseignants débutants se conforment vite aux mécanismes existants, surtout lorsque la situation de l’emploi dans le secteur de l’enseignement est peu sûre.

On va donc bientôt assister à un renversement de la situation. Des vagues d’enseignantes et enseignants expérimentés vont prendre leur retraite, au nombre desquels se trouveront de nombreux mentors potentiels. Simultanément, les jeunes enseignantes et enseignants vont bientôt former des groupes importants dans de nombreuses écoles, à tel point qu’ils vont peut-être y faire naître et développer une nouvelle dynamique.

Si cette situation offre des possibilités considérables d’innovation et de renouvellement, elle comprend aussi le risque de mal diriger l’énergie et de commettre trop d’erreurs. Des groupes importants de nouveaux enseignants et enseignantes peuvent constituer un levier puissant du renouvellement des écoles. Néanmoins, si les directions d’école et les leaders en enseignement ne valorisent que les recrues, ils risquent de diviser l’école en deux – les jeunes enseignantes et enseignants et les plus anciens – où chaque groupe exclut et dévalorise la contribution de l’autre groupe.

Dans ces circonstances, le défi que devront relever un groupe de mentors ou de leaders de plus en plus petit ne consistera peut-être pas à offrir des conseils individuels, mais plutôt à rapprocher les acquis de la jeunesse et de l’expérience. Il faudra donc canaliser les énergies des nouveaux enseignants et enseignantes sans pour autant marginaliser les perspectives et la sagesse des plus anciens dont les connaissances et l’expérience sont profondément enracinées dans le passé.

Ce ne sont là que quatre des défis qui attendent les enseignantes et enseignants et les mentors au siècle prochain; il s’agira de rendre le mentorat moins hiérarchisé, moins individualiste, plus ouvert et plus inclusif dans son orientation que par le passé.

TROIS ÉLÉMENTS CLÉS

Les programmes d’initiation sont de plus en plus répandus. Bien des programmes de mentorat n’atteindront malheureusement pas leur objectif, car on omettra de reconnaître qu’ils doivent s’inscrire dans le cadre d’autres changements dans la politique et la pratique pour transformer la profession enseignante. Toute politique formelle de mentorat peut facilement dégénérer en initiative de restructuration – par l’ajout de rôles formels – sans renouvellement des mécanismes – sans modifier la capacité des enseignantes et enseignants.

Il existe au moins trois conséquences stratégiques qui justifient l’élaboration de programmes de mentorat qui peuvent faire changer les choses de façon durable.

Premièrement, nous pouvons concevoir des programmes de mentorat de façon à ce qu’ils soient considérés explicitement comme des instruments de renouvellement des mécanismes scolaires. Cela signifie que toutes les personnes intéressées doivent réfléchir au sens profond du mentorat, le considérer comme un moyen de préparer les enseignantes et enseignants à devenir des agents de changement moral efficaces, désireux d’opérer un changement dans la vie des jeunes et familiers avec les méthodes pédagogiques et les partenariats qui visent la réussite scolaire.

Le mentorat ne se limite alors pas à une forme de soutien individuel des membres du corps enseignant; il permet de créer des mécanismes professionnels solides dans des écoles engagées à améliorer l’enseignement, l’apprentissage et les services aux élèves.

Deuxièmement, le mentorat doit être explicitement lié à d’autres composantes des réformes visant à transformer la profession enseignante. Le mentorat doit, par exemple, répondre aux besoins de tous les enseignants et enseignantes nouvellement arrivés dans le district ou dans l’école et pas seulement à ceux des débutants. En outre, il doit être associé à la reconception de la formation initiale à l’enseignement et à l’amélioration constante du système scolaire.

À l’Université de Toronto, nous mettons en œuvre des programmes de préparation à l’enseignement qui possèdent trois composantes de conception : un grand nombre d’étudiants (jusqu’à 60), des équipes de membres du corps professoral comprenant des enseignants (jusqu’à six par équipe) et des groupes d’écoles associées (jusqu’à dix) dans lesquelles travaillent des sous-groupes de stagiaires.

Selon ce modèle, les établissements de formation à l’enseignement considèrent qu’elles ont pour mandat d’améliorer le système scolaire tout autant que la formation à l’enseignement et l’école se voit nantie du rôle d’améliorer à la fois la formation à l’enseignement et l’école même.

En outre, l’initiation à l’école et le perfectionnement professionnel du corps enseignant et de l’administration doivent consolider les efforts déployés pour améliorer la formation initiale à l’enseignement. Tous ces aspects doivent être éclairés et contrôlés à leur tour grâce à des normes d’exercice correspondant aux concepts d’un enseignement qui tient compte des réalités émergeantes de l’ère postmoderne.

Ainsi, le mentorat ne fait pas seulement partie intégrante des efforts de perfectionnement et d’amélioration au sein de l’école, mais il entre également dans le cadre de tout un système de formation, de perfectionnement et d’amélioration au-delà de l’école.

Troisièmement, et de façon plus globale, tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin au mentorat doivent réaliser que les prochaines années seront décisives pour la revitalisation de la profession enseignante.

Deviendra-t-elle un moteur de changement social et de justice sociale? Peut-elle créer sa propre vision des changements éducationnels et sociaux nécessaires et s’engager dans ce sens au lieu de se borner à mettre son veto et à réagir aux plans de changement des autres?

Regardons la situation bien en face : ceux qui entreront dans la profession au début du nouveau millénaire – et ils seront nombreux à le faire pendant les années à venir – commenceront leur carrière à un moment où l’avenir de la profession enseignante est en jeu.

En d’autres termes, le mentorat est un moyen dont la fin comporte de nombreux défis – la création d’une profession solide au sein de laquelle écoles, associations professionnelles et syndicats travaillent de concert à l’amélioration de l’enseignement. Pour que nous puissions relever ces défis, le mentorat doit évoluer dans les directions suivantes :

  • au lieu d’une activité réalisée par deux personnes, il doit faire partie intégrante de la culture professionnelle de l’école
  • l’accent ne doit pas être mis uniquement sur le travail en classe avec les élèves, mais sur la capacité de former des liens solides avec les collègues et les parents
  • les dispenses hiérarchiques de la sagesse doivent être remplacées par la mise en commun des expériences;
  • le mentorat doit passer d’une innovation isolée à une partie intégrante des efforts d’amélioration déployés de façon plus globale pour renouveler les mécanismes de l’école et du système scolaire.

Ce ne sont là que quelques-uns des principaux défis du mentorat à la fin du millénaire. L’objectif n’est pas de créer des programmes de mentorat de haute qualité à proprement parler, mais plutôt d’intégrer le mentorat au processus de transformation de l’enseignement pour que la profession devienne une véritable expérience d’apprentissage.

La version intégrale de cet article paraîtra dans le numéro hiver 2000 de la revue Theory into Practice, publiée par le College of Education, The Ohio State University, 172 Arps Hall, 1945 N. High Street, Columbus OH USA 43210; www.coe.ohio-state.edu/tip/tip_home.htm.

Michael Fullan est doyen de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto et Andy Hargreaves est directeur de l’International Centre for Educational Change; il enseigne également au Département d’études des théories et politiques en éducation à l’IEPO. On peut les joindre à ahargreaves@oise.utoronto.ca.