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Excusez mon retard,
c’est à cause de mon rythme circadien


de Marina Quattrocchi

Vous vous demandez pourquoi 12 élèves sont en retard à la première période du matin le lundi? Pourquoi ceux qui sont à l’heure sont toujours à moitié endormis? Pourquoi les retenues, les coups de téléphone à la maison et les notes plus faibles semblent n’avoir aucun effet? Pourquoi ce problème ne semble pas exister à l’élémentaire?

Il est fort possible, si vous vous y arrêtez, que Sally, qui a été en retard 20 fois en deux mois, n’avait jamais ce problème avant le secondaire. Elle n’est pas toujours en retard pour ses autres classes, jamais pour son emploi au Pizza Hut; en fait, elle est une employée modèle. Elle n’est pas en retard parce qu’on la paie, direz-vous. Pas vraiment.

La recherche démontre que des milliers d’élèves du secondaire qui se traînent à contrecœur, tel un chien vers un bain moussant, pourraient avoir une bonne raison d’avoir mauvaise mine le matin. C’est à cause de leurs rythmes circadiens, cette horloge interne qui régit le sommeil. Si vous avez déjà souffert du décalage horaire, vous savez exactement ce qu’il en coûte de dérégler votre rythme circadien. Malheureusement pour Sally, pendant la première période, elle pourrait être en état constant de décalage horaire si elle se couche à 23 h 30 après avoir fait ses devoirs pour se lever ensuite à 6 h 30 et aller à l’école.

RYTHMES CIRCADIENS

Le premier chercheur à explorer les rythmes circadiens fut le scientifique français Jean-Jacques d’Ortous de Mairan. Il se demandait pourquoi les plantes ouvraient leurs feuilles le jour puis les refermaient la nuit. Il a lancé l’hypothèse que les plantes répondaient aux indices externes d’ensoleillement. À sa grande surprise, il a trouvé que les plantes, lorsque conservées dans la pénombre totale, ouvraient et fermaient leurs feuilles selon la même fréquence. Comme chez les humains, les rythmes des plantes sont régis par une horloge interne.

Ce n’est que depuis les deux dernières décennies que les chercheurs ont bien compris la dynamique des rythmes circadiens. Circadien vient du latin circa diem «presque un jour». Pour la plupart des adultes et des enfants, ce rythme naturel se rapproche d’un cycle de 24 heures. Or, pour les adolescents, ce rythme ralentit. Un adolescent typique ne veut pas se coucher à 23 h parce que son horloge interne lui dit qu’il n’est que 20 h.

C’est pourquoi tirer un adolescent du lit le matin relève presque du miracle. Quand le réveil sonne à 7 h, son corps lui dit qu’il n’est que 4 h. Pendant une dizaine d’années, les adolescents engourdis luttent contre une horloge interne au fonctionnement beaucoup plus lent dont le cycle s’étend de 26 à 30 heures. «Ce n’est pas que la jeune génération est mauvaise, paresseuse ou fainéante, disent les chercheurs Shirley Linde et Peter Hauri, directeur du programme sur l’insomnie à la clinique Mayo. Leur horloge fonctionne simplement plus lentement.»

Au fur et à mesure que l’adolescent vieillit, son horloge interne subit une transformation, retardant la période d’éveil pré-programmée d’environ une heure par rapport aux adultes et aux enfants. Cette transformation est due à un retard dans l’injection nocturne de mélatonine, de l’épiphyse jusque dans le cerveau. La mélatonine, qui provoque la somnolence, aide à régler les rythmes circadiens. Cette injection de mélatonine survient à environ 21 h 30 chez un jeune adolescent puis vers 22 h 30 chez un adolescent plus vieux.

Cela signifie que le début des classes dans bien des écoles est inversé. Les écoles élémentaires pourraient commencer beaucoup plus tôt, étant donné que les enfants à cet âge sont plus alertes et prêts à apprendre tôt le matin. Pour les adolescents, l’idéal serait de commencer l’école vers 10 h.

RECHERCHE AMÉRICAINE

Une bonne partie de ce que nous connaissons des adolescents et de leur sommeil vient de la recherche américaine du début des années 80 par Mary Carskadon, qui dirige maintenant le laboratoire de recherche sur le sommeil de l’hôpital E.P. Bradley à Providence au Rhode Island, et par Ronald E. Dahl, directeur du laboratoire sur le sommeil de l’enfant et de l’adolescent du centre médical de l’Université de Pittsburgh.

Au plan physiologique, l’adolescent a besoin de plus de sommeil, tout particulièrement le matin. Carskadon a trouvé que si un adolescent pouvait dormir autant qu’il le souhaitait, il dormirait environ neuf heures et quart. Elle croit maintenant qu’un adolescent devrait avoir au moins huit heures et quart de sommeil par jour. Le problème, c’est que les adolescents n’en ont jamais assez. Bon nombre d’entre eux fonctionnent en état de perte de sommeil continue.

Étant donné que l’adolescence est une période où la plupart des jeunes sont guidés par un désir d’affirmer leur indépendance, ils associent souvent une heure de coucher tardive à la vie adulte. Ce désir peut avoir été engendré des années durant par des parents qui se sont servi d’une heure de coucher hâtive comme punition et de la permission de rester debout plus tard comme récompense. De toute façon, les raisons qui gardent les adolescents debout plus tard ne manquent pas : emploi à temps partiel, devoir, télévision, ordinateur et Internet.

Le problème réside dans le fait que si son moment d’éveil n’est pas reporté, ce qui arrive rarement, l’adolescent passe à côté d’une phase essentielle du sommeil, la phase finale du rêve ou phase de mouvements oculaires, le sommeil paradoxal, qui est essentiel si l’on veut avoir cette sensation d’avoir bien dormi. Aller au lit une heure plus tôt ne fonctionne pas étant donné que l’adolescent ne peut changer son rythme circadien. S’il se couche une heure plus tôt, il passera probablement ce temps à fixer le plafond.

Il existe de nombreux effets secondaires chez l’adolescent qui ne dort pas assez le matin. Son temps de réaction est considérablement réduit. Ce facteur a été lié aux innombrables accidents de voiture. C’est aussi la raison pour laquelle on dit à la plupart des athlètes de bien dormir avant une épreuve importante le lendemain. La perte du sommeil a aussi une incidence sur la pensée cognitive, tout particulièrement sur le raisonnement divergent qui est requis pour résoudre des problèmes de façon créative ou pour répondre à des questions à développement.

La recherche de Dahl a montré que la perte de sommeil mène à des problèmes émotifs et comportementaux. À l’adolescence, une partie du cerveau passe à des caractéristiques plus adultes comme se fixer des objectifs à long terme et attendre avant d’avoir une récompense. Cette partie en vient à remplacer les aires moins mûres du cerveau qui font que les enfants s’emportent ou qu’ils se mettent en colère. Cela est possible grâce à ce que les chercheurs appellent le traitement par croisement temporal où l’on se souvient du passé pour s’aider à décider de ce qu’il faut faire dans le futur. Par exemple, un enfant confiné à sa chambre en guise de punition pour ne pas avoir partagé un jouet avec un ami pourrait décider que partager le jouet est la meilleure solution. Dahl croit que l’adolescent en perte de sommeil est moins susceptible d’éliminer les émotions enfantines. Pour lui, «Il est dangereux de généraliser, mais il y a plus d’adolescents chez qui le simple manque de sommeil fait vraiment pencher la balance du côté des problèmes émotifs.»

La recherche de plus en plus vaste suggère que l’injection retardée de mélatonine chez un adolescent signifie qu’il a désespérément besoin de dormir après 7 h. Carskadon croit qu’un début hâtif des classes n’entraîne que l’engourdissement, le manque d’attention, le rendement faible aux examens et des risques plus élevés de problèmes de comportement et de discipline. «Les jeunes se réveillent et vont à l’école à un moment où leur cerveau est encore endormi, ajoute-t-elle. Même à la deuxième période de la journée, ils ne sont pas prêts à apprendre, à participer à leur éducation.»

COMMENCER PLUS TARD

Pour remédier à ce problème, 16 districts scolaires du Minnesota ont mené une expérience en changeant le début des cours le matin. Les résultats ont été impressionnants. Des administrateurs d’Edina ont reporté le début des cours de

7 h 20 à 8 h 30. «Auparavant, 20 pour cent des jeunes dormaient pendant la première heure des cours, dit Kyla Wahlstrom, administratrice scolaire. Maintenant, ce n’est plus le cas. Ils participent activement plutôt qu’être des zombis.»

Le nombre de problèmes disciplinaires a diminué et le nombre d’élèves en dépression ou malades a chuté considérablement. Les notes étaient plus élevées que par le passé chez les élèves de 11e et 12e année. Bon nombre d’enseignantes et d’enseignants s’entendent pour dire «qu’il n’y a pas autant d’élèves endormis à leur bureau, que les élèves participaient davantage, qu’ils sont plus concentrés.» La plupart des administrateurs ont fait remarquer que les corridors semblent plus calmes. Ils croient que le début plus tardif semble avoir eu une incidence positive sur l’atmosphère générale de l’école.

En règle générale, les enseignantes et enseignants arrivent à l’école à l’heure habituelle, mais passent la première heure en réunion ou à préparer leurs cours. Les parents sont aussi plus heureux. Une enseignante a mené une enquête auprès des parents de ses 160 élèves pour déterminer s’ils avaient perçu un changement dans le comportement de leurs enfants. La réponse fut plus que positive, tout particulièrement au point de vue des comportements et des attitudes.

Un autre district a décidé d’offrir un système à deux options où l’élève pouvait choisir de commencer à 7 h 30 ou à 8 h 30. Seulement un tiers des élèves ont choisi de commencer à 7 h 30. Cela correspond exactement à la recherche sur le sommeil qui a permis d’apprendre que 30 pour cent de la population est naturellement matinale.

Le besoin de sommeil demeure un mystère qui continue d’échapper aux scientifiques. Dahl explique que certaines personnes fonctionnent avec aussi peu que quatre heures ou quatre heures et demie de sommeil; d’autres en ont besoin d’au moins neuf heures. Seulement cinq pour cent des adultes fonctionnent bien avec moins de six heures de sommeil. Le besoin de sommeil diffère d’une personne à l’autre. Pour Dahl, «Certains se lèvent tôt sans problème et d’autres sont inéluctablement, mais hors de tout doute, des oiseaux de nuit et envisagent l’aube avec toute l’horreur d’un Dracula.»

Les spécialistes s’entendent pour dire que les nouveau-nés ont besoin d’environ 18 heures de sommeil. Les tout-petits et les jeunes enfants, environ 12 heures. Les enfants de huit ans jusqu’aux premières années de l’adolescence, d’environ huit heures et quart à neuf heures et quart par nuit. Les adolescents plus vieux ont besoin de s’endormir plus tard et dorment plus longtemps le matin. L’adulte moyen a besoin d’environ huit heures et quart de sommeil.

Malheureusement, les adolescents ne sont pas les seuls à vivre en état constant de perte de sommeil. Les nuits sans sommeil ont pris des proportions épidémiques chez les deux tiers de la population. Des cliniques du sommeil font leur apparition un peu partout. William Dement de l’Université Stanford estime que, chaque année, 24 000 Américaines et Américains meurent dans des accidents causés par le manque de sommeil.

Cela remonte à 1879 quand Edison a perfectionné l’ampoule électrique. Avec la lumière et la possibilité de lire tard le soir, la radio, la télévision, les magasins ouverts 24 heures et l’Internet, nous avons altéré nos rythmes circadiens. En 1910, la plupart des gens dormaient en moyenne neuf heures et demie par nuit. Aujourd’hui, cette moyenne est passée à sept heures.

Stanley Cohen, dans son étude de 1996 intitulée Sleep Thieves, a écrit qu’étant donné que «le singe et le singe supérieur dorment dix heures ou plus par jour, nous pourrions conclure que l’être humain a besoin de dormir environ deux heures et demie de moins qu’eux.» Il ne faut donc pas se surprendre si le cycle sommeil-éveil du singe ressemble tant au nôtre.

Ne soyez donc pas désespéré si vous avez besoin de huit à dix heures de sommeil. De nombreux chercheurs ont trouvé que les personnes créatives et celles qui règlent des problèmes en ont souvent besoin de plus.

Vous êtes en bonne compagnie. C’est grâce à une série de rêves qu’Albert Einstein a élaboré sa théorie de la relativité. Apparemment, Einstein s’amenait au travail en milieu de matinée chaque jour après ses dix heures de sommeil quotidiennes.

Peut-être que les 12 élèves toujours en retard à leur première période de cours font leur propre recherche.

Marina Quattrocchi, un oiseau de nuit, enseigne l’anglais à la St. Augustine Secondary School à Brampton. Elle a aussi enseigné à l’élémentaire. On peut la joindre à marina.quattro@sympatico.ca