(rethinking kindergarten, jon hoffman, OCT, Teachers)

C’EST L’HEURE de former un cercle dans la classe de jardin d’enfants à temps plein d’Allyson Slee, EAO, à la Memorial Public School de St. Catharines. Avant de commencer, elle demande à ses 27 élèves de marcher sur place pendant une minute – sauf à une fillette qui reste assise sur une chaise confortable, à lire et à écouter calmement de la musique.

Plus tard, pendant que les enfants travaillent au sein de neuf centres d’apprentissage différents, Shirley Delaney, éducatrice de la petite enfance, prend de côté un garçon agité pour lui demander : «Comment ton moteur roule-t-il en ce moment? Trop vite, trop lentement ou comme il faut?» Au même moment, Allyson Slee évalue un autre enfant à l’aide de la nouvelle liste de vérification pour le jardin d’enfants fournie par son conseil scolaire, laquelle comprend des énoncés tels que :

S’autoréguler? C’est bien ça. La marche sur place et la liste de vérification sont autant d’outils dont le but est d’aider les enseignantes et enseignants du District School Board of Niagara à inciter les élèves du jardin d’enfants à avoir une meilleure maîtrise de soi. Si vous n’avez pas entendu parler d’autorégulation, vous allez l’entendre, puisque le tout nouveau programme-cadre de maternelle et de jardin d’enfants à temps plein – lequel cite l’autorégulation en tant qu’objectif central – sera introduit au cours des quelques prochaines années.

À la base, l’autorégulation est la capacité d’adapter son état mental, émotionnel et physiologique au travail à faire. Un enfant qui a besoin de se reposer devrait se calmer avant de s’endormir. Un enfant qui se retrouve au milieu de la rue sur le chemin d’une voiture doit agir vite. À l’école, l’autorégulation permet aux élèves de bien s’entendre avec les autres, de contrôler leur comportement et de rester calmes mais vigilants et concentrés, soit de garder un état d’esprit propice à l’apprentissage.

«Le quotient intellectuel fut le paramètre de prévision du succès au XXe siècle; au XXIe siècle, c’est l’autorégulation», explique Stuart Shanker, professeur distingué qui fait de la recherche en philosophie et en psychologie pour l’Université York, et qui compte parmi les meilleurs spécialistes en autorégulation. Les gènes et le tempérament influent sur le développement de la maîtrise de soi, mais l’idée clé pour les enseignantes et enseignants de la maternelle et du jardin d’enfants est que les enfants ayant des difficultés à se contrôler ont aussi de la difficulté avec la stimulation ambiante d’une salle de classe ordinaire (sollicitation visuelle, bruits de fond, textures, émotions), et avec les actions et paroles des autres enfants. «Quand un enfant doit mettre autant d’énergie pour arriver à se maîtriser, dit M. Shanker, il lui reste peu d’énergie pour écouter, contrôler ses impulsions, se souvenir des instructions et, en fin de compte, apprendre.»

Les données du Canada et des États-Unis suggèrent qu’entre 25 et 50 pour cent des enfants qui entrent en 1re année présentent divers degrés de difficulté à se contrôler. «C’est pourquoi il est crucial de s’attarder sur ce point au jardin d’enfants», ajoute M. Shanker.

Voici quatre façons d’encourager les enfants à se maîtriser dans la salle de classe :

1. Souligner l’importance du jeu

On a réalisé que nombre d’enfants apprennent mieux quand ils ont les mains occupées.

L’apprentissage par le jeu n’est pas nouveau dans les programmes de jardin d’enfants. On discute de plus en plus du fait que le jeu incite les enfants à se contrôler et qu’il encourage le modèle d’apprentissage cognitif.

«Durant les jeux de rôle, les enfants doivent respecter les conventions sociales qu’ils se sont données, explique Laura Berk, professeure émérite distinguée de l’Université d’État de l’Illinois. Ils doivent rester dans la peau d’un personnage, attendre leur tour et s’adapter aux tournants de l’histoire. Ils apprennent à suivre les conventions sociales de la vie de tous les jours, ce qui profite à l’apprentissage scolaire et social.» Mme Berk ajoute qu’un rôle important pour les enseignants du jardin d’enfants «est de fournir de l’appui aux enfants en leur offrant de nouvelles idées et des possibilités pour que leur jeu de rôle devienne graduellement plus sophistiqué».

Le jeu n’est pas toujours sans difficultés, bien sûr. Pour Chantal Stephens, EAO, enseignante du jardin d’enfants à l’école élémentaire catholique Sainte-Marguerite-Bourgeoys de Markham, en apprendre plus sur l’autorégulation l’a poussée à remettre en question le rôle qu’elle joue quand les élèves ne s’entendent pas.

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Les périodes d’apprentissage assis sur le tapis se déroulent mieux quand les jeunes élèves ont l’occasion de faire des activités qui siéent à leur état physique et émotionnel. Pour l’un, c’est pouvoir jouer avec de la pâte à modeler; pour l’autre, c’est se déguiser; pour un autre encore, c’est faire une activité tranquille.

«Il y a deux ans, quand les enfants se chamaillaient pour un jouet, j’intervenais pour dicter lequel d’entre eux allait avoir le camion rouge, combien de temps et qui l’aurait ensuite», raconte Mme Stephens. Maintenant, elle passe moins de temps à imposer des solutions et plus à aider les enfants à apporter les leurs. «Je dirai, par exemple “J’ai remarqué que vous vous chamaillez beaucoup au sujet de ce camion rouge. Parlons du partage.”» Elle demande aux enfants ce que le partage signifie pour eux et s’ils ont des idées pour appliquer leur interprétation. «D’habitude, les enfants trouvent leurs propres règles.»

2. Faire de la mise en scène

Quand elle a entendu parler de l’autorégulation, Mme Slee a tout d’abord pensé qu’elle utilisait déjà le principe, comme beaucoup d’enseignants du jardin d’enfants le font. Mais depuis elle a compris, par exemple, qu’il est plus facile de passer d’une activité à une autre après un interlude d’exercices physiques. «Quand je leur disais de terminer leurs activités et de sortir dans le corridor chercher leur collation, les élèves se bousculaient et la transition était généralement chaotique. Maintenant, je réunis les enfants pour un bref interlude d’activités physiques, que ce soit pour faire des exercices d’assouplissement, des jeux de doigts, ou mimer une chanson. Après, la période de collation est bien plus disciplinée.»

Pour Brenda Whittam-Neary, une orthophoniste de Regina en Saskatchewan, cela n’a rien de surprenant. Elle travaille avec des enseignantes et enseignants de la Kitchener Community School, où l’on opère plusieurs classes d’autorégulation depuis les quatre dernières années. «L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a montré que le mouvement fait augmenter le niveau d’oxygène et de glucose dans le cerveau, soit les nutriments dont le cerveau a besoin, dit-elle. En fait, s’asseoir sans bouger peut empêcher les enfants de se concentrer et de retenir l’information.»

Patti McGillivray, ergothérapeute au service du District School Board of Niagara, explique que l’on peut utiliser d’autres stratégies que le mouvement avec des classes comme celle de Mme Slee. «Si un enseignant s’aperçoit qu’un élève a besoin de bouger, il peut lui demander de faire une posture de yoga en respirant profondément ou de pousser une poussette alourdie; ou encore, il peut demander à l’enfant et à ses voisins de pupitre de se lancer dans un jeu de “Jean dit” qui les fera ramper comme un serpent ou marcher comme un crabe.»

Certaines des stratégies qu’utilisent les enseignantes et enseignants de la Kitchener CS peuvent surprendre. On permet aux enfants – on les encourage même – à griffonner, à mâcher de la gomme ou à jouer avec les morceaux de laine grise attachés aux pieds de chaque pupitre. «On a réalisé que nombre d’enfants apprennent mieux quand ils ont les mains occupées», souligne Mme Whittam-Neary.

Wanda Lapchuk, enseignante de 1re et de 2e année à la Kitchener CS, a eu de la difficulté à accepter l’idée qu’il fallait éliminer les décorations de la salle de classe pour améliorer la capacité des enfants à se concentrer. «Je n’étais pas simplement sceptique; je résistais. Je suis enseignante au primaire. J’étais persuadée qu’il me fallait décorer mes murs pour fournir un milieu visuellement stimulant. Mes murs étaient littéralement couverts!», se souvient-elle.

C’était avant qu’elle passe une journée à observer sa classe. «Je me rendais compte que les élèves avaient du mal à se concentrer sur ce que l’enseignante faisait à cause d’un trop-plein de stimulation ambiante», dit-elle. Avec l’aide de bénévoles, Mme Lapchuk a transformé sa classe d’un jour à l’autre en enlevant les affiches, les chiffres, les cartes illustrant les lettres de l’alphabet et les décorations accrochées ici et là, et en mettant les travaux des élèves dans le couloir. Les enfants ont vu une différence immédiatement. «Au début, ils ont demandé où tout était passé», se souvient-elle. Mais la classe était plus calme. Vers la fin de la première journée, un des enfants lui a dit : «Je peux maintenant me concentrer sur ce que je dois apprendre.»

Je peux maintenant me concentrer sur ce que je dois apprendre.

Mme McGillivray explique que la stimulation auditive peut aller à l’encontre de l’autorégulation et elle offre des idées pour réduire le bruit dans la salle de classe :

3. Appuyer les besoins individuels des élèves

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Parce que ses élèves peuvent s’occuper avec différentes activités, Allyson Slee trouve ainsi le temps de donner un peu d’attention personnelle aux élèves qui en ont le plus besoin.

«Une majeure partie des tâches d’un enseignant est de comprendre pourquoi certains enfants doivent travailler davantage pour rester calmes, se concentrer et être alertes, et de trouver des façons de réduire les demandes sur ces enfants afin qu’ils puissent apprendre», dit M. Shanker.

Une chose qui aide Mme Slee à cette fin est la liste d’outils élaborée par Mme McGillivray visant le dépistage fonctionnel pour assurer le succès au jardin d’enfants. «Un de mes élèves a de la difficulté émotionnellement, dit-elle. Il éprouve de la frustration et se met facilement en colère quand il interagit avec ses pairs.» L’outil de dépistage a aidé Mme Slee à se rendre compte que nombre des défis émotionnels de cet enfant étaient liés à la résolution de problèmes. C’est pourquoi, en plus de lui donner du counseling pour apprendre la patience et réagir moins vite avec ses pairs, Mme Slee travaille aussi à améliorer ses capacités de résolution de problèmes. «Parfois, je lui donne des tâches comme distribuer le travail aux élèves ou placer les pochettes (contenant des ciseaux, de la colle, des crayons et des stylos) aux postes de travail. Je fais ça en partie parce que cela le distrait quand il se frustre, mais je pense que le fait de faire du travail pour moi lui donne un but et une responsabilité et il acquiert plus d’assurance. Ce sont des aptitudes qu’il peut utiliser pour résoudre des problèmes avec ses pairs.»

4. Enseigner l’autorégulation aux enfants

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Pour Chantal Stephens, EAO, en apprendre plus sur l’autorégulation l’a poussée à remettre en question le rôle qu’elle joue quand les élèves ne s’entendent pas. Maintenant, elle passe moins de temps à imposer des solutions et plus à aider les enfants à apporter les leurs. PHOTOGRAPHIE : IAN CRYSLER

Le dernier morceau du casse-tête de l’autorégulation est d’enseigner le concept aux enfants. Mme McGillivray, qui œuvre auprès des enseignants du programme d’apprentissage précoce, prévoit présenter deux produits en particulier à cet effet. L’un est Playtime with Zeebu (c’est l’heure de jouer avec Zeebu), un outil d’apprentissage s’adressant aux enfants ayant des troubles du spectre autistique et permettant d’enseigner la perspective à l’aide de techniques pour donner des répliques non verbales incitant les enfants à se calmer. L’autre est Alert Programme (programme alerte), élaboré par Sherry Shellenberger et Mary Sue Williams, deux ergothérapeutes des États-Unis. Ce dernier aide les enfants à penser à leur niveau d’attention par le biais d’analogies liées au moteur. Par exemple, l’enfant sera amené à trouver «la vitesse de son moteur» (trop vite, trop lentement, juste comme il faut) et à apprendre des stratégies pour changer la vitesse. «Durant la période de discussion en cercle, les enseignants peuvent demander “Comment te sens-tu quand le moteur de ton corps tourne trop vite?” et “Qu’est-ce qu’on peut faire pour freiner quand le moteur de ton corps tourne trop vite?”. Je suggère que les pédagogues permettent aux enfants de choisir entre deux choses à faire pendant quelques minutes – s’adonner à une activité physique ou aller lire un livre au calme dans un coin», dit-elle. L’idée est d’améliorer la capacité des enfants à comprendre leurs propres états physique et émotionnel, et d’apprendre des stratégies qui aident à les maintenir ou à les changer, au besoin.

Bien qu’on ait de solides preuves qu’il existe un lien entre l’autorégulation et l’apprentissage, recueillir la documentation nécessaire prendra un certain temps pour connaître l’efficacité de ces approches pédagogiques auprès des élèves du jardin d’enfants. Certains districts scolaires de la Colombie-Britannique collaborent avec le ministère de l’Éducation afin d’élaborer un projet de recherche visant à comparer les écoles ayant recours à l’autorégulation avec des écoles témoins dans un même district, sur un certain nombre de facteurs, dont le rendement et le comportement des élèves ainsi que le niveau de stress des enseignants.

Comme l’enthousiasme de Wanda Lapchuk l’indique, tout porte à croire que la Kitchener Community School est sur la bonne voie. «Nos résultats en lecture continuent de monter tandis que le taux d’absence diminue et que les visites au bureau de la direction pour problèmes de comportement ont notablement diminué, fait remarquer Mme Lapchuk. Mais ce qui me réjouit le plus, c’est la façon dont les enfants apprennent à se contrôler. Des enfants viennent me voir et me disent “Je n’arrive pas à m’asseoir sans bouger; j’ai besoin d’un fauteuil à bascule.” De plus, c’est incroyable de voir les compétences métacognitives que les enfants utilisent. Cela a transformé ma façon de percevoir l’enseignement.»