«... lattitude que doit adopter une
enseignante ou un enseignant efficace face à une situation donnée en classe se résume
en deux mots : ça dépend.»
Richard Murnane, Harvard Graduate School
of Education
Depuis
que le premier ministre Mike Harris a décidé dimposer au personnel enseignant de
lOntario des évaluations régulières, des chercheurs en éducation se penchent sur
des programmes dautres provinces, des États-Unis, dAustralie et de
Grande-Bretagne visant la transparence de la formation du personnel enseignant.
Les éducateurs et parents ontariens qui cherchent à se
renseigner sur lévaluation systématique des enseignantes et enseignants et des
personnes qui aspirent à le devenir se tournent généralement vers nos voisins du Sud,
qui ont beaucoup dexpérience en la matière. Cependant, une étude récente sur le
principal fournisseur de tests des États-Unis ne permet pas dobtenir
dindications claires sur les avantages de lévaluation, ni même de
déterminer sil sagit du meilleur moyen de rendre la profession transparente.
Tous les états nont pas mis en uvre des
mécanismes dévaluation. Ainsi, lIndiana a plutôt adopté un programme axé
sur lencadrement et la formation systématique. LUtah oblige son personnel
enseignant à choisir un «collègue de perfectionnement professionnel» comme mentor, à
élaborer un plan de perfectionnement et, pendant les cinq ans de validité du brevet
denseignement, à choisir parmi un large éventail dactivités de formation.
Au Canada, lAlberta a choisi récemment de rendre la
profession transparente par le perfectionnement obligatoire. Son personnel enseignant doit
désormais dresser et respecter un plan annuel de croissance professionnelle.
Richard Murnane, professeur à Harvard, remet en cause les
tests couramment utilisés aux États-Unis. Selon lui, les futurs enseignants devraient
être tenus de passer un test de notions de base tôt dans leurs études, voire dès le
palier secondaire, afin de pouvoir communiquer efficacement avec leurs futurs élèves et
leurs parents.
Dans un article paru en 1991, il a affirmé quil est
essentiel de bien connaître les matières pour être bon enseignant, et quen
principe, il serait également souhaitable dévaluer la connaissance des matières
des candidats au brevet denseignement.
«Cependant, dit-il, je doute que les tests à choix
multiples administrés actuellement dans plus de 20 états permettent de bien évaluer la
connaissance des matières. La difficulté délaborer des tests à choix multiples
valables pour évaluer les connaissances démontrent quil faut faire preuve
dune très grande prudence dans lévaluation de la connaissance des matières
des personnes voulant obtenir un brevet denseignement.»
Le regretté Albert Shanker, très respecté ancien
président de lAmerican Federation of Teachers, préconisait des normes plus
strictes pour les enseignants américains. Il voyait dun bon il les tests
dadmission aux programmes de formation à lenseignement imposés dans un
nombre croissant détats.
AU-DELÀ DES NOTIONS DE BASE
Cependant, il a émis des réserves dans un article paru en novembre 1996 dans
Phi Delta Kappan. «Lennui, cest que ces tests ne nécessitent pas une
connaissance approfondie des matières. Un examen dadmission dusage courant,
le Praxis I (ou les tests semblables élaborés par des organismes comme le National
Evaluation System), est un simple test sur les notions de base qui ne poserait aucune
difficulté à un élève de 10e année. Ces tests permettent de sassurer
quil ny aura pas denseignants analphabètes, mais ils ne garantissent
pas un enseignement de qualité.»
«En fait, poursuit-il, la souplesse exagérée des critères
dadmission pourrait dissuader bon nombre détudiants intellectuellement
sérieux et bien préparés de sinscrire à un programme de formation à
lenseignement.»
Shanker préconisait de rendre obligatoires des tests
rigoureux dans les principales matières anglais, mathématiques, sciences et
études sociales pour accéder aux programmes de formation à lenseignement,
comme les écoles de médecine imposent des tests exigeants pour présélectionner leurs
candidats.
LEducational Testing Service (ETS) de Princeton, au New
Jersey, a élaboré les tests Praxis I que Shanker a critiqués, de même que les tests
dhabileté scolaire SAT, couramment utilisés pour présélectionner les étudiants
voulant sinscrire à luniversité. LETS a également élaboré la série
de tests Praxis II sur la connaissance des matières.
Dans une étude menée en 1999 pour lETS, intitulée
The Academic Quality of Prospective Teachers: The Impact of Admissions and Licensure
Testing, Drew Gitomer, Andrew Latham et Robert Ziomek abordent de nombreuses questions
complexes et controversées concernant lévaluation.
Leur comparaison des notes obtenues par plus de 300 000
futurs enseignants aux tests Praxis, des notes aux SAT et des moyennes pondérées
cumulatives révèle que contrairement aux conclusions de recherches précédentes, selon
lesquelles les enseignants américains ont des aptitudes inférieures à celles
dautres personnes de formation universitaire exerçant une profession libérale,
«les enseignants ont des aptitudes égales ou supérieures à celles de lensemble
des étudiants duniversité».
Cependant, les auteurs mettent en garde les états qui
veulent améliorer la qualité de lenseignement en relevant les notes de passage au
Praxis et à dautres tests. Ils soulignent que cette mesure contribuerait à exclure
du bassin denseignants éventuels les membres des minorités, surtout les
Afro-Américains. Les Américains dorigine asiatique, dont les notes sont
supérieures à la moyenne, sont également exclus dans une plus forte proportion que les
autres par la batterie de tests à choix multiples Praxis.
ÉVALUATION TROMPEUSE DES FEMMES
Les auteurs soulignent également un autre aspect troublant de
lévaluation. «Compte tenu des notes aux SAT, les évaluations du personnel
enseignant expliquent la proportion de femmes dans léchantillon, car les femmes
obtiennent généralement des notes inférieures aux hommes à ces tests, malgré le fait
que selon dautres mesures, leurs aptitudes sont au moins équivalentes.»
En outre, en exigeant des notes plus élevées, on réduit le
bassin daspirants enseignants alors même quil y a une forte pénurie de
personnel enseignant.
«On peut supposer que cest en partie par crainte de
manquer de personnel enseignant que les états ne relèvent pas les notes de passage.
Cependant, quelques états sont parvenus à maintenir des normes élevées. Ainsi, le
système de portfolio du Connecticut Beginning Educator Support and Training (BEST)
représente un exemple dévaluation rigoureuse du rendement qui a permis de
rehausser les aptitudes du personnel enseignant au Connecticut.»
«Par contre, ces normes coûtent cher. Si le Connecticut
parvient à maintenir un bon bassin denseignants, cest en grande partie parce
quil offre le salaire moyen de loin le plus élevé au pays, soit 51 495 $ US en
1994-1995.»
«Les décideurs, affirment les auteurs de létude,
doivent envisager avec prudence lévaluation du personnel enseignant. Selon nos
données, il ne suffit pas de relever la note de passage pour améliorer la compétence du
personnel enseignant. Des tests plus rigoureux devraient permettre de sassurer
quils ont les compétences nécessaires, mais si on ne sen sert pas
judicieusement, les problèmes touchant la disponibilité et la diversité de personnel,
déjà criants, pourraient saggraver.»
Lévaluation du personnel enseignant améliore-t-elle
la qualité de lenseignement?
«Compte tenu des données de létude, poursuivent les
chercheurs, il faut retenir que les tests Praxis ne sont pas conçus pour prévoir
lefficacité des enseignants. Ces tests dadmission et dobtention du
brevet mesurent les connaissances dites essentielles pour un enseignement efficace, mais
névaluent pas lensemble des compétences que doit détenir un enseignant
chevronné. Par conséquent, la réussite à un test Praxis ne garantit pas la qualité de
lenseignement. Par contre, elle permet daffirmer quune personne a acquis
un niveau de connaissances suffisant pour un débutant.»
LACUNES DES TESTS
Le professeur Murnane souligne cet aspect. «Il sagit avant tout de savoir
si le recours aux tests à choix multiples dans la délivrance des brevets
denseignement permet de faire en sorte quun plus grand nombre
denseignants compétents, aux antécédents variés, enseignent aux enfants du pays.
Jen doute, pour plusieurs raisons.»
«Dabord, les questions visant à évaluer les
"connaissances générales" reflètent inévitablement, dans une certaine
mesure, la culture blanche majoritaire. Puis, les tests à choix multiples sur les
"connaissances professionnelles", exigés dans 24 états pour obtenir un brevet
denseigne-ment, ne permettent pas de déterminer avec certitude si les candidats
possèdent les connaissances nécessaires pour bien enseigner, car les questions procurent
rarement un contexte suffisamment complexe pour décrire de façon réfléchie comment
réagir dans une situation difficile. Il sagit là de graves lacunes.»
«Selon des recherches menées récemment, lattitude
que doit adopter un enseignant efficace dans une situation donnée en classe se résume en
deux mots : ça dépend.»
«Enfin, lutilisation du test du NTE (Praxis) sur les
connaissances professionnelles écarte les candidats du droit chemin. Au lieu
dapprendre à bien enseigner, les candidats qui ont de faibles notes
sévertuent à apprendre les "bonnes" réponses. Je doute quon
puisse mieux enseigner en passant des heures à apprendre à réussir des tests à choix
multiples sur les connaissances professionnelles.»
Les programmes américains dévaluation du personnel
enseignant ont donné naissance à une nouvelle industrie qui produit des sites web, des
documents de préparation aux tests et des programmes de formation. Aux États-Unis, alors
que les enseignants et les aspirants à cette profession piochent leur version des notes
Coles en attendant la prochaine série de tests, le débat sur lévaluation se
poursuit au sein de la profession.
Pour en savoir plus sur létude The Academic
Quality of Prospective Teachers: The Impact of Admissions and Licensure Testing, consulter
le site www.ets.org/praxis/.
LAlberta adopte un
modèle différent pour démontrer la transparence de la profession enseignante et
améliorer lenseignement
Les enseignantes et
enseignants ontariens peuvent également sinspirer de ce qui se fait dans
lOuest, où les décideurs ont choisi un moyen différent daméliorer
lexercice de la profession enseignante et de la rendre transparente auprès du
public et des responsables provinciaux de la délivrance de brevets denseignement.
La nouvelle politique provinciale de croissance, de
supervision et dévaluation de lAlberta oblige tous les enseignants à
élaborer un plan annuel de croissance professionnelle.
Au début de lannée scolaire, lenseignant doit
présenter à la direction de lécole ou à un groupe désigné de collègues un
plan de perfectionnement des connaissances, des aptitudes et des attributs visant à
approfondir ses compétences et à optimiser le rendement des élèves. À la fin de
lannée, une rencontre avec la direction ou les collègues permet de déterminer ce
qui a été tiré de la mise en uvre du plan.
La politique provinciale ne se limite pas aux cours
structurés. Elle vise également des activités de recherche, des projets collectifs de
programmes détudes, des groupes de discussion ou lencadrement de collègues.
Pour obtenir des renseignements sur les plans de
croissance, visitez le site web de lAlberta Teachers Association www.teachers.ab.ca ou du ministère de
lÉducation de lAlberta www.ednet.edc.gov.ab.ca
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