Vous avez 14 ans, vous êtes en 9e année. Votre professeur d’art dramatique vous offre le premier rôle dans un spectacle de clowns. Chouette! Sauf que ce rôle, c’est celui... du mercure dans un thermomètre.

En 1989, au collège catholique Samuel-Genest d’Ottawa, Dominic Giroux écoute ce que lui propose son enseignante, Lise Paiement. Interpréter le mercure? Pourquoi pas! Mme Paiement l’a choisi parce qu’il est grand et que son visage est particulièrement expressif. Mais jamais l’ado d’alors n’aurait pu imaginer tout le sens qu’allait prendre l’expérience.

Sur la scène, un énorme carton découpé (ancien emballage de réfrigérateur) représente le thermomètre. À l’intérieur, Dominic est littéralement drapé d’un tissu rouge, les membres immobilisés comme une momie, la tête couverte d’un bonnet de bain de même couleur. Son rôle (muet il va sans dire) est de jouer des tours aux autres personnages. Il doit se baisser ou se hisser sur la pointe des pieds pour faire descendre ou grimper la température de façon à indiquer aux autres comédiens d’ajuster leur jeu.

Soir de première. La salle est petite, bondée d’enfants surexcités. La pièce commence. Catastrophe, le «thermomètre» chavire. Voilà notre vedette à terre. «J’ai certainement appris de cette expérience que the show must go on», conclut en riant le recteur de l’Université Laurentienne.

Lise Paiement se souvient : «Dominic se tortillait de tous les côtés, incapable de se relever. Mais il donnait tout ce qu’il pouvait. Si bien qu’il est parvenu à se remettre debout. Je l’ai revu une dizaine d’années plus tard. Il se souvenait de cette soirée comme d’un échec. Pourtant, moi, lui ai-je dit, je me rappelais plutôt l’énergie qu’il avait mise à se relever. Dominic est un gars créatif qui a du ressort. Pas quelqu’un qui s’arrange pour ne jamais rencontrer de défi ou d’échec. Il sait gérer le changement.»

Leader en devenir

Dominic Giroux

À 34 ans, Dominic Giroux devient le plus jeune recteur d’une université canadienne.

«Il y a eu quatre ou cinq enseignants, à l’élémentaire et au secondaire, qui m’ont influencé, dit M. Giroux. Mais c’est Lise, je crois bien, qui m’a le plus marqué. D’ailleurs, elle est, à mon avis, en Ontario, la pédagogue qui a le plus d’impact sur la pratique pédagogique en salle de classe grâce à son projet de pédagogie culturelle, qui a entraîné la formation de centaines d’enseignantes et enseignants partout dans la province.»

Sans doute ces deux-là – l’enseignante qui met la conscience sociale participative et la construction identitaire au cœur de son enseignement et l’adolescent déjà impliqué dans sa communauté à 14 ans – se sont-ils trouvés sur la même longueur d’onde.

À l’époque, Dominic Giroux participait activement à l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) de sa région. «Je me suis intéressé très tôt à la francophonie et à l’éducation. Je ne sais pas trop pourquoi! Mes parents ne m’ont pas particulièrement poussé à m’engager, mais ils ont tous les deux enseigné le français. Et mon grand-père, Claudio St-Louis, qui n’avait pas terminé son élémentaire, a été commissaire d’école à Embrun... Chose certaine, ma famille m’a laissé un message : l’éducation, c’est important.»

Dominic prend l’école au sérieux. Il se sent bien dans ce milieu. «Oui, j’étais studieux. Et j’aimais organiser des activités.» Lise Paiement se souvient qu’il avait de bonnes notes, se démarquait par sa maturité, son autonomie, son originalité. Il ne faisait pas de sport, n’appartenait pas à une clique; il était plutôt inspiré par les relations politiques. Sa conscience sociale était développée. Ce qu’il allait devenir était déjà clair. Et elle allait contribuer à raffermir ce talent.

Elle en est tout juste à sa première année d’enseignement quand elle découvre les principes de la formation du leadership, lors d’un camp destiné aux jeunes des conseils d’élèves des écoles secondaires. Cette expérience orientera toute sa carrière. Elle a vu des ados se transformer sur le plan de la maturité en quatre ou cinq jours. «J’ai pensé que, si j’arrivais à intégrer à mon enseignement les éléments de cette formation, j’aurais vraiment le pouvoir d’amener mes ados à plus d’autonomie et de conscience identitaire et de les responsabiliser davantage. J’en ai donc fait mon sujet de maîtrise en psychopédagogie. Aujourd’hui, plusieurs de mes élèves sont devenus des leaders francophones et détiennent des postes clés.»

Dominic Giroux est de ceux-là. D’ailleurs, en 2008, il recevait, du chancelier de l’Université d’Ottawa, le premier prix du leadership en éducation. Et il figurait, en 2010, sur la liste des 40 Canadiens performants de moins de 40 ans.

Gérer le contexte

«Lise commençait toujours ses cours par une discussion ouverte sur toutes sortes de sujets d’actualité, raconte M. Giroux. Les conversations dans lesquelles elle nous entraînait étaient des conversations d’adultes. Elle n’avait pas peur de dire les choses comme elles étaient et elle nourrissait très certainement notre fibre franco-ontarienne! Elle nous racontait, aussi, ce qui aurait pu la rendre vulnérable; au contraire, ça lui permettait de se connecter avec ses élèves dans une relation enseignante-élève authentique. Certains pourraient juger que c’était une perte de temps. Mais, sur le plan humain, elle accomplissait davantage pendant ces quelques minutes que si elle avait tout de suite entamé son cours formel.»

Voilà un exemple de ce que la pédagogue appelle «gérer le contexte plutôt que le temps». «Quand on étudie en enseignement, explique M. Paiement, on apprend comment gérer la discipline de classe, le curriculum et le temps. On aborde rarement la gestion du contexte, c’est-à-dire apprendre à jauger la dynamique humaine de son groupe, à motiver les élèves, à les mettre d’humeur à apprendre, à les rendre autonomes, à leur donner de l’assurance et des habiletés sociales. Si on veut donner à la société des adultes responsables, on doit rendre les jeunes responsables de leur contexte.»

Des attentes élevées

Discussions et digressions animées, travail d’équipe énergique et varié, on avait du plaisir dans sa classe! «Mais il fallait répondre à ses attentes, nuance M. Giroux, fournir les efforts auxquels elle s’attendait. Et elle était sévère. En pédagogie, on dirait qu’elle avait des attentes élevées, mais pas démesurées, et très claires. Cela touchait la ponctualité, l’écoute, l’usage du français, l’attitude face à notre identité culturelle, la créativité... Lise prenait de la place et prenait sa place. Elle nous a montré à prendre la nôtre. C’était une personne très stimulante. Elle l’est toujours!»

Lise Paiement, enseignante à la retraite

Ses exigences, Lise Paiement les présente comme des «règles d’or» ou «règles du jeu» : «Les enseignants, dit-elle, détestent être obligés de faire la police : du français, des devoirs, de la discipline... Oui, on peut donner des règlements assortis de conséquences. Mais on peut surtout transmettre des principes de vie en commun en faisant appel à la maturité et à la responsabilité des jeunes. Quant à l’effort, il est en relation directe avec la satisfaction. C’est cela qu’il faut faire découvrir à nos élèves.»

Mettre les bouchées doubles, Dominic Giroux connaît ça. Des années durant, il était étudiant universitaire le jour et travaillait dans l’administration scolaire, par exemple comme directeur financier, le soir. Ou vice-versa. Il a obtenu un baccalauréat en sciences sociales et un autre en éducation à l’Université d’Ottawa et a fait son MBA à l’École des hautes études commerciales, à Montréal. Il a, entre autres, dirigé l’établissement du Bureau de l’éducation des Autochtones, participé à l’autonomie de TFO, présidé le comité de négociation du renouvellement des conventions collectives des enseignants et contribué au renouvellement du protocole sur les langues officielles. Il a quand même trouvé le temps de se marier avec Barbara Breault, EAO, directrice d’une école élémentaire, et de fonder une famille! Tout ça avant l’âge de 34 ans, alors qu’il était nommé recteur (le plus jeune au Canada) et vice-chancelier de l’Université Laurentienne (Sudbury et Barrie).

De quoi nourrir la fierté de son enseignante! Laquelle, pendant ce temps, enseignait toujours l’art dramatique, coécrivait le méga-spectacle L’écho d’un peuple, enregistrait ses propres chansons, puis, en prêt de service au ministère de l’Éducation de 2004 à 2009, prenait la direction de la phase 1 du projet Pédagogie culturelle (voir pedagogieculturelle.ca). Elle intervenait aussi, un peu partout au Canada, comme experte-conseil en création d’un espace francophone et en leadership en milieu minoritaire, tout en écrivant son livre, à la fois essai biographique et réflexion pédagogique, qui devrait paraître aux Éditions David au printemps 2013. Une carrière de 32 ans bien remplie, saluée par le Mérite franco-ontarien en éducation (AEFO), le prix Bernard-Grandmaître (ACFO) et le Prix du premier ministre pour l’excellence en enseignement. À 57 ans, retraitée depuis quatre ans, la «p’tite fille de Sturgeon Falls» s’est faite consultante en leadership pédagogique et culturel ainsi que conférencière. Et elle adore ça!

Partenaires

«Mon chemin a croisé celui de Lise tout au long de ma carrière», souligne Dominic Giroux. Le sous-ministre adjoint cherchait-il quelqu’un pour expliquer la francophonie aux collègues anglophones de son ministère? Il invitait Mme Paiement à prendre la parole. De son côté, Lise cherchait-elle à convaincre le Ministère de promouvoir son projet de pédagogie culturelle? Elle tend la perche à son ancien élève. «Je suis convaincu, analyse M. Giroux, qu’elle n’a pas toujours été d’accord avec ce que j’ai pu faire ou dire, comme élève, conseiller scolaire, administrateur de conseil ou sous-ministre adjoint, mais jamais je ne l’ai senti. Quand elle m’enseignait, mais aussi plus tard, elle a su me pousser hors de ma zone de confort. Mais j’ai toujours reconnu chez elle le sourire et le regard complices qui amènent quelqu’un à continuer!»

La suite...

Qu’est-ce que le papa de Simon et d’Amélie, 9 et 6 ans, espère de leur école? «D’abord et surtout, répond Dominic Giroux, qu’elle leur donne le goût, puis la capacité d’apprendre. Et la fierté de leur appartenance à la langue et à la culture françaises. Jusqu’à maintenant, je dois dire que l’école a réussi!»

Extrait du curriculum vitæ de Dominic Giroux

1975
Naissance à Ottawa

1994-1997
Conseiller scolaire, Conseil des écoles catholiques de langue française de la région d’Ottawa-Carleton

1996-1997
Président, Conseil des écoles catholiques de langue française de la région d’Ottawa-Carleton

1998-1999
Adjoint éducatif à la directrice de l’éducation (Madeleine Champagne), Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud, Toronto (également en prêt de service à temps partiel à l’automne 1998 comme secrétaire du Comité d’étude externe sur le réaménagement des communautés scolaires)

1999-2001
Gestionnaire des services administratifs et financiers, Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud, Toronto

2002-2005
Directeur exécutif des services administratifs, Conseil des écoles catholiques de langue française du Centre-Est, Ottawa

2005-2009
Sous-ministre adjoint, Division de l’éducation en langue française et de l’administration de l’éducation, ministère de l’Éducation de l’Ontario, Toronto

2007-2009
Sous-ministre adjoint, ministère de la Formation et des Collèges et Universités de l’Ontario, Toronto

2009-jusqu’à présent
Recteur et vice-chancelier, Université Laurentienne, Sudbury et Barrie

Dans nos archives

Apprenez-en plus sur l’enseignante exemplaire Lise Paiement en lisant l’article de Pour parler profession (juin 2004) : bit.ly/VblaIj.

Pour en savoir plus sur la pédagogie culturelle (juin 2009) et la construction identitaire (juin 2010), consultez nos articles de fond : bit.ly/UVM05K et bit.ly/XjGY2r.