«Bienvenue dans notre espace de jeu», clame Paul Finkelstein, EAO, tournoyant dans la cuisine de la Stratford Northwestern Secondary School où ses élèves de 11e et 12e année d’arts culinaires bavardent pendant qu’ils pétrissent de la pâte à pizza et tranchent des tomates. Sans se soucier de la musique que crache la chaîne stéréo, M. Finkelstein s’active entre les postes de travail, incitant un élève à aller faire la vaisselle et un autre à préparer des poitrines de poulet pour les faire mariner.

La classe est chargée de cuisiner pour le café haut en couleur dirigé par les élèves, le Screaming Avocado (screamingavocado.blogspot.ca). «Notre objectif est de sensibiliser les élèves à une alimentation saine et de leur enseigner comment apprêter les aliments, explique M. Finkelstein, ancien chef cuisinier professionnel, en déposant des plateaux de pad thaï et de rotinis dans le chauffe-plat. Nourrir 200 bouches par jour est un objectif ambitieux, mais ils savent se montrer à la hauteur.»

Gérer une cantine avec des élèves apprentis cuisiniers, c’est du gâteau pour un enseignant qui carbure aux défis. Au cours des 12 dernières années, M. Finkelstein a aidé à l’aménagement d’un jardin potager pour l’école; reçu de grands chefs comme Michael Smith; amassé des milliers de dollars grâce aux dîners concoctés par les élèves et un chef; dirigé des excursions à New York, à Cuba et au Japon; décroché pour sa classe des contrats afin de cuisiner pour le couple royal William et Kate; et animé des séries télévisées du Food Network Canada mettant ses élèves en vedette.

Prendre de grands risques – se traduisant par des récompenses encore plus grandes pour ses élèves – a mérité à M. Finkelstein un Prix du premier ministre pour l’excellence en enseignement (Enseignant de l’année) en 2007-2008 et un Prix du premier ministre pour l’excellence en enseignement en 2011-2012. En décembre 2012, il faisait partie d’un groupe sélect de Canadiens honorés pour leurs contributions et a reçu la Médaille du jubilé de la reine Elizabeth. Pas mal pour quelqu’un qui avait été qualifié par ses propres enseignants du secondaire d’«idiot», d’«insubordonné» et de «cancre».

M. Finkelstein préconise l’apprentissage expérientiel : «Je leur donne des directives, puis la liberté nécessaire, et je les encourage tout au long du processus.»

Il n’est pas surprenant que le programme d’arts culinaires soit devenu l’un des plus populaires de l’école. «Paul a créé un programme qui a pris de l’ampleur, car les élèves tiennent à en faire partie, soutient son directeur d’école, Martin Ritsma, EAO. Lorsque j’assiste à une réunion en ville, il arrive fréquemment qu’on me demande : “Quoi de neuf au café Avocado?”. Grâce à lui, le café fait parler de lui, et c’est excellent pour l’école.»

À l’instar de la plupart des enseignants d’éducation technologique, M. Finkelstein croit aux vertus de larges rations d’activités pratiques. Après que les élèves se sont lavé les mains et ont revêtu leur tablier, il commence le cours de l’après-midi en les laissant choisir leurs tâches («Qui veut préparer le pain aux bananes?»). Il présente les techniques et travaille côte à côte avec les élèves, mettant littéralement la main à la pâte. «L’apprentissage expérientiel constitue le gros de ma philosophie, affirme-t-il. Je leur donne des directives, puis la liberté nécessaire, et je les encourage tout au long du processus.» Il ne l’admettra jamais, mais une partie du succès du programme découle de son enthousiasme. «Les élèves et la nourriture le passionnent», fait observer sa collègue, Catherine Riddell, EAO.

En cette classe du mardi, les élèves perfectionnent leurs habiletés à peler des aubergines et à hacher du brocoli pour un repas de cinq services sous la direction du chef Alain Rosica, venu directement de Rome pour passer la semaine à Northwestern. Ces repas, qui servent à récolter des fonds, sont populaires : des gens de la communauté paient 30 $ pour déguster un menu préparé et exécuté par un grand chef et par les élèves du club culinaire. Chaque élève, à son tour, fera le service du côté gauche et échangera quelques mots avec les convives. «Les jeunes n’ont pas toujours une bonne réputation côté manières, soutient M. Finkelstein; c’est l’occasion pour eux de les améliorer.»

Les invités sont une denrée courante dans la cuisine de M. Finkelstein. «Je crois qu’ils viennent parce que je les harcèle tellement», plaisante-t-il. Les fermiers locaux sont venus prêcher le respect pour la terre et les animaux, le chef militant Joshna Maharaj prépare de la cuisine indienne et prône une alimentation plus saine dans les hôpitaux, et la vedette locavore Michael Stadtländer parle avec éloquence des produits de sa ferme de plus de 40 hectares. «Je pourrais leur montrer comment faire des pâtes maison, admet M. Finkelstein, mais que ce soit un chef d’Italie qui le fasse, ça les inspire au plus haut point.»

Debbie Brodie Ritz participait à ces repas lorsque son fils Jared faisait partie du club culinaire, et elle se souvient d’une discussion de ce dernier avec trois camarades de classe. «Ils ne parlaient pas de jeux vidéo ni du prochain party, se rappelle Mme Brodie Ritz. Ils discutaient de la philosophie “de la fourche à la fourchette” de Stadtländer et de ses théories sur la culture biologique. Paul amène vraiment ses élèves à adopter une perspective mondiale.»

Quand il ne peut faire venir le monde à ses élèves, M. Finkelstein les y emmène. Les voyages du club culinaire les ont conduits à Ottawa pour cuisiner aux côtés du chef de la gouverneure générale à Rideau Hall, à New York pour préparer un menu au temple de la gastronomie à la propriété de James Beard, en Italie pour faire une présentation à la conférence internationale sur l’écogastronomie Terra Madre, et au Japon pour une exposition mondiale.

La nourriture est toujours à l’itinéraire, mais ces voyages vont au-delà de la technique. Un jour, le vol a été retardé et certains élèves ont manifesté leur frustration par un langage de plus en plus grossier dans la file d’attente. M. Finkelstein ne les a pas punis; il les a fait réfléchir. «Avez-vous remarqué que tout le monde vous regardait?, leur a-t-il demandé plus tard. On ne parle pas ainsi en public. Lorsqu’un problème survient, vous devez apprendre à le résoudre.» La première fois que M. Finkelstein a emmené le groupe à New York, il était soulagé que le directeur de l’école le prévienne de ne pas tenir les élèves en laisse. «Il faut leur laisser l’espace nécessaire pour grandir et apprendre, soutient M. Finkelstein. Cela a été ma philosophie dès le premier voyage.»

Une convive se régale au café Screaming Avocado, qui sert des déjeuners délicieux et nutritifs. Des élèves cuisiniers ont préparé ce repas inspiré de cuisine japonaise.

Les élèves ont amassé plus de points AIR MILES que ceux faisant des échanges scolaires. M. Finkelstein les a accompagnés en Colombie-Britannique et dans les Territoires du Nord-Ouest, où ils ont vécu avec des familles et fréquenté les écoles secondaires locales. En avril 2012, les élèves du club culinaire ont entrepris un voyage au Nunavut et, six avions plus tard, ont rencontré les élèves d’une école secondaire de Cape Dorset avec qui ils étaient jumelés (ils avaient communiqué pendant des semaines sur Facebook). Les élèves ont goûté à un ragoût de morse, ont pêché sous la glace de l’omble chevalier et ont été renversés par le prix astronomique (20 $) d’un sandwich club à l’unique restaurant de la ville. À leur tour, les élèves du Nunavut ont débarqué à Stratford et visité les fermes locales, où ils ont caressé des vaches et des moutons, animaux qu’ils n’avaient vus qu’au petit écran.

Ces excursions feraient chou blanc sans les efforts de M. Finkelstein, qui s’assure que ses élèves travaillent de façon régulière et avec diligence. «Les habiletés de collaboration et de résolution de problèmes qu’ils acquièrent en déchiffrant une recette ou en travaillant sous la direction d’un chef leur serviront plus tard, quel que soit le domaine dans lequel ils œuvreront», affirme Deborah McNair, EAO, qui fut la directrice de l’école de M. Finkelstein pendant dix ans et est maintenant directrice de la St. Marys District Collegiate and Vocational Institute.

Si ce n’était du ravitaillement en compétences pratiques et en expériences formidables, des élèves comme Jared seraient encore aux prises avec des difficultés à l’école. M. Finkelstein a canalisé l’énergie de Jared en lui donnant amplement de quoi s’occuper. «Il disait aux autres enseignants : “Écoutez, plus on lui donne de responsabilités, mieux il se conduit”», se rappelle la mère de Jared. Jared a poursuivi sa formation en restauration et boucherie en Italie, et vient d’obtenir son diplôme du Culinary Institute of Canada, où il a été l’instigateur du potager de l’école. «Paul a pris sous son aile un élève potentiellement décrocheur, l’a investi de sa confiance et lui a donné des responsabilités», ajoute-t-elle.

Lorsqu’il a commencé à enseigner, M. Finkelstein croyait qu’il formerait des chefs. Au lieu de cela, il donne à des élèves difficiles un lieu où acquérir de l’assurance en soi par l’entremise de la cuisine. En enseignant aux élèves à préparer des repas sains et savoureux, il transforme leur famille et leur avenir. En les sensibilisant à de nouvelles saveurs, il développe leurs papilles gustatives. En les présentant à des chefs et à des fermiers, il leur offre une nouvelle optique sur la nourriture. «Ce n’est pas la société que nous transformons, mais des élèves, en les amenant à cuisiner, soutient M. Finkelstein. J’utilise la nourriture comme moteur de changement.»

Pour qu’un projet devienne réalité

Paul Finkelstein admet être un peu égoïste : il s’attelle toujours à des projets qui lui permettent également d’apprendre et de grandir. Voici ses astuces pour aider les idées à moitié cuites à prendre forme.


Trouver un partenaire
Qu’il s’agisse d’un fermier prêt à céder une parcelle de terre ou une école tentée par un échange, trouvez quelqu’un avec qui vous pouvez travailler.

Faire ses devoirs
«Ne leur dites pas ce que vous voulez faire, mais ce que vous pouvez faire.» Avant de présenter une nouvelle idée à la direction, il faut en donner les détails :

  • les références/compétences de la personne-ressource
  • ce que les élèves vont en retirer
  • les coûts.

Vendre sa salade
Précisez à la direction ce que les élèves vont en retirer. Suscitez l’enthousiasme des élèves à l’idée de rencontrer de nouvelles personnes ou de visiter de nouveaux endroits. Rappelez aux chefs vétérans leur influence sur la prochaine génération de cuistots. C’est pourquoi le club culinaire de M. Finkelstein s’est rendu à Toronto pour dîner au Scaramouche, l’un des plus grands restaurants de la ville. Comme le propriétaire et chef du Scaramouche, Keith Froggett, a dit à M. Finkelstein : «Si nous ne changeons pas les habitudes alimentaires de ce segment de la population, nous sommes cuits».

Tirer profit des collectes de fonds
Grâce aux collectes de fonds, M. Finkelstein appuie les organismes communautaires caritatifs et paie les visites scolaires. Au lieu de faire du porte-à-porte pour vendre des amandes enrobées de chocolat, ses élèves vendent des sacs de produits alimentaires provenant de boulangeries, de fermiers et de producteurs locaux. Les soupers exécutés par un chef et les élèves sont une autre source de fonds.

Attirer les médias
Communiquez aux médias ce que vous faites et vous aurez l’attention de la communauté et d’autres partenaires potentiels. Lorsque le quotidien Toronto Star a fait un reportage sur son premier échange d’élèves en arts culinaires, M. Finkelstein a inséré l’article dans la trousse d’information qu’il a envoyée à une école qu’il voulait aborder. Ses élèves ont fait l’objet d’une couverture dans des dizaines de blogues, journaux et revues comme le Canadian Living et Saveur.

Profiter d’un billet (gratuit)

Paul Finkelstein paie une portion des coûts des échanges entre élèves grâce au programme Échanges jeunesse Canada YMCA. Il recommande de chercher une école, de faire participer la direction de cette école et de soumettre une demande auprès du programme. «Si vous êtes deux à présenter une demande, les chances sont meilleures d’être choisis puis jumelés, souligne-t-il. Pour en savoir plus : bit.ly/WvR8RB.