Les
enfants qui ne maîtrisent pas un concept numérique
de base quand ils commencent à aller à
lécole nont pas de bons résultats en
mathématiques. Pouvons-nous leur inculquer ce
concept?
de Rosemarie Bahr
Cinq élèves de 1re
année jouent à un jeu. Ils livrent le courrier dans
un quartier organisé en une rangée de 40 maisons en
carton. Toutes les maisons ont des portes
numérotées de 1 à 40. Les dix premières maisons
ont des portes de la même couleur. Les dix maisons
suivantes ont une porte dune couleur
différente. Le toit des maisons paires est plat,
alors que celui des maisons impaires a une forme
pointue. Les enfants trouvent différentes manières
de se rendre de la maison 15 à la maison 34. Ils
samusent bien, tout en apprennant les
mathématiques.

Robbie Case |
Cette activité fait
partie du programme Rightstart, élaboré
dans le cadre des travaux de recherche de
Robbie Case, qui travaille comme chercheur au
sein du programme en développement humain de
lInstitut
canadien des recherches avancées et comme
professeur à lUniversité de Toronto. |
Nos
enfants pourraient obtenir de meilleurs résultats
Des
comparaisons réalisées à léchelle
internationale montrent que les enfants
nord-américains ne réussissent pas aussi bien en
mathématiques que les jeunes Asiatiques. Les petits
vendeurs de la rue brésiliens, qui nont pas
reçu une éducation formelle, obtiennent aussi
dassez bons résultats par rapport aux enfants
canadiens.
Selon
dautres études, les jeunes Nord-Américains
comprennent systématiquement mal certains concepts
mathématiques quon leur a enseignés.
Daprès Robbie Case, ces problèmes indiquent
quil faut repenser lenseignement des
mathématiques.
Les recherches
de M. Case et de ses collègues ont dabord
porté sur la manière dont les enfants apprennent
les mathématiques. Ils ont ainsi découvert que les
enfants développent une «structure conceptuelle
centrale» qui sert de base tout au long de
lapprentissage. Les enfants qui ne maîtrisent
pas cette structure conceptuelle centrale des nombres
ou concept numérique de base ne réussissent pas
bien en mathématiques une fois rendus à
lécole.
Ces élèves
nacquièrent pas un bon sens du nombre, qui
leur permettrait de passer du monde réel des
quantités à lunivers mathématique des
nombres et des symboles. Les élèves doués
dun bon sens du nombre peuvent élaborer leurs
propres méthodes, ainsi que reconnaître et utiliser
des suites numériques. Ils peuvent repérer les
erreurs flagrantes et représenter un seul chiffre de
plusieurs façons.
Supposons, par
exemple, que vous avez 19 billes et que
quelquun vous en donne 15. Combien en avez-vous
en tout?
Bien des
enfants et, soit dit en passant, bien des adultes
alignent mentalement le 19 et le 15, comme on le leur
a enseigné. Ils additionnent ensuite le 9 et le 5
pour obtenir 14 et retiennent 1. Puis ils ajoutent le
1 aux deux autres 1 pour obtenir 3, ce qui leur donne
34.
En revanche,
les personnes qui possèdent un bon sens du nombre
inventent sur-le-champ, par intuition, une méthode
plus simple. Celle-ci pourrait consister à ajouter
15 à 20 pour obtenir 35, puis à soustraire 1 pour
obtenir 34, ou encore, à ajouter 15 à 15 pour
obtenir 30 et ensuite, à ajouter 4 pour obtenir 34.
Ces deux
méthodes sappuient sur une compréhension de
la nature de notre système numérique qui repose sur
la base 10. Dans la seconde méthode, on représente
19 comme étant 20 moins 1. Ce changement révèle
que les élèves ont confiance en leur propre
démarche et quils se sentent à laise
dans lunivers des mathématiques.
Peut-on
inculquer un concept numérique de base et un bon
sens du nombre?
M. Case pense
quil existe un lien entre la connaissance des
nombres et celle de lespace. Les
mathématiciennes et mathématiciens déclarent
souvent que leur intuition comprend une importante
composante spatiale. Les adultes souffrant de
lésions cérébrales qui entravent leur
compréhension de lespace rencontrent souvent
également des difficultés avec les nombres. Par
ailleurs, les enfants doués pour la lecture, mais
plutôt faibles en mathématiques, montrent aussi
fréquemment des faiblesses dans leur perception de
lespace.
Sil
existe bel et bien un lien, il devrait être possible
de créer une expérience dapprentissage dans
laquelle, les nombres étant reliés à
lespace, les enfants doivent se servir de leur
perception intuitive de lespace pour apprendre
à utiliser les nombres.

Les élèves samusent à
inventer leurs propres équations
en jouant au facteur avec Rightstart.
M. Case et sa
collègue, Sharon Griffin, ont mis au point un
programme, appelé Righstart, afin de mettre à
lessai cette expérience dapprentissage.
Ils ont introduit ce programme pour la première fois
à Toronto, à la fin des années 80, auprès
dun groupe denfants venant de trois
classes de maternelle fréquentées par des familles
de revenu moyen à faible, ayant immigré de zones
rurales du Portugal. La deuxième étude sest
déroulée dans des classes de maternelle de trois
écoles du Massachusetts. Ces écoles présentaient
la plus forte proportion délèves appartenant
à une minorité visible de la ville et desservaient
généralement des familles de revenu faible à
moyen.
Ces essais
ainsi que des essais ultérieurs ont révélé que
les enfants qui avaient suivi le programme
démontraient un sens accru du nombre par rapport à
un groupe témoin. Cette amélioration a également
été ressentie dans des domaines connexes tels que
les sciences, la capacité de dire lheure et de
compter de largent.
En suivant ces
enfants jusquà la fin de la 1re
année, on a remarqué quils obtenaient de bien
meilleurs résultats en arithmétique que le groupe
témoin. Lorsque ce programme a été étendu à la 1re
et à la 2e année, les résultats de
toute une section de la population à risque se sont
améliorés. Le groupe Rightstart est devenu
léquivalent dun groupe privilégié sous
bien des aspects, et même supérieur dans certains
cas.
Au fil des
années, M. Case et Mme Griffin se sont appliqués à
peaufiner les jeux et les composantes de Rightstart.
Le programme est en cours de traduction en français
afin dêtre mis en place dans certaines écoles
du centre-ville de Montréal. Mme Griffin, qui
travaille actuellement à lUniversité Clark au
Massachusetts, étudie un projet dateliers pour
les enseignantes et enseignants en vue de les aider
à se familiariser avec le matériel du programme.
Comment
fonctionne Rightstart?
Lun des
éléments clés de Rightstart est la représentation
spatiale des nombres et des systèmes numériques.
Les nombres restent fixes, tout comme ceux qui
figurent sur les maisons du quartier.
«Quand vous
jouez à un jeu de société, explique M. Case, vous
avez tous les nombres devant vous, et vous vous
déplacez parmi eux. Dans les premières années du
cycle primaire, on peut apprendre les mathématiques
en attachant ensemble des objets, comme des
bâtonnets, pour obtenir des groupes de 10, ou en
comptant avec des jetons. Toutefois, ceci naide
pas à mieux comprendre les liens qui existent entre
chaque nombre ni lexistence de familles de
nombres ni la ressemblance entre 23 et 33 à certains
égards.»
Daprès
M. Case, les enfants devraient disposer de un ou deux
contextes dans lesquels ils peuvent explorer les
problèmes mathématiques. Dans le cas des maisons
dun quartier, le contexte demeure le même,
mais il donne lieu à 15 ou 20 jeux différents. Au
fur et à mesure que les élèves apprennent, on
rajoute des maisons à laide de Velcro
jusquà ce quil y en ait 100.
Samuser
et inventer des histoires sont des aspects très
importants du programme. M. Case signale que les
enfants tout comme lenseignant ou
lenseignante ont du plaisir. Les activités
entrent dans le cadre dune histoire, quil
sagisse de livrer des lettres dans le quartier
ou de passer le long dune rangée de boîtes
pour éteindre les flammes du dragon qui vit dans une
boîte, à lextrémité, et terrorise la ville.
Le sens de la
propriété et la diversité sont intégrés dans le
programme. Il se peut quun enfant utilise ses
bottes de dix pas pour sauter de la maison 15 à la
maison 25, puis jusquà la maison 35, pour
enfin faire 1 pas en arrière à la maison 34 pour
livrer sa lettre. Ou encore, un autre enfant peut se
servir de ses bottes pour faire un grand saut
jusquà la maison 25, puis faire 9 pas pour
aller livrer sa lettre à la maison 34.
Les deux
élèves expliquent au groupe les méthodes
employées. Ils peuvent discuter des avantages et des
inconvénients pour finalement décider quelles
se valent.
Selon M. Case,
dès la 1re ou la 2e année,
ces enfants inventent déjà leurs propres
équations. De la même façon quil
nexiste pas, dans une classe, une composition
ou un dessin qui soit supérieur aux autres, il
ny a pas déquation qui soit meilleure.
Elles peuvent toutes être affichées au mur de la
classe ou être ramenées à la maison pour que les
parents les voient. Les enfants sont fiers den
être les auteurs. Ils nont pas
limpression quil nexiste
quune seule expression mathématique juste. À
cet égard, ils ressemblent davantage à des
mathématiciens quà des machines à
additionner.
Les fractions
En 5e
et en 6e année, les nombres rationnels
(fractions, nombres décimaux et pourcentages)
constituent souvent un obstacle pour les élèves qui
se trouvent au milieu et en haut de léchelle
socio-économique. Lors dun test à choix
multiple organisé à léchelle nationale, la
majorité des enfants américains en 12e
année ont choisi 19 ou 21 comme réponse, au lieu de
2, quand on leur a demandé destimer la somme
de 9/10 et de 11/12. Les élèves ont donc de
sérieuses lacunes dans le domaine des fractions.
En
collaboration avec Joan Moss, professeure et
conférencière à lInstitute for Child Study
de lUniversité de Toronto, M. Case a préparé
un autre ensemble de représentations spatiales qui
sappuie dabord sur des pourcentages
plutôt que sur des fractions, ce qui convient
davantage à lintuition des enfants au sujet
des proportions. Cette expérience a été tentée
plusieurs fois avec des enfants privilégiés de la 4e
à la 6e année.
«Si je
demandais : "65 pour 100 de 160, ça fait
combien?", la plupart des gens me diraient :
"Pardon, vous pensez vraiment que je peux faire ce
calcul mentalement?". Ceci ne présente toutefois
aucun problème pour la plupart des enfants qui ont
suivi le programme. Cela équivaut à leur demander
de multiplier 9 par 32, ce qui représente certes un
petit défi, mais ne les intimide pas du tout.»
Si Robbie Case
réussit dans son entreprise, tous nos enfants
participeront à lère de linformation.
LInstitut
canadien des recherches avancées LInstitut
canadien des recherches avancées est une
université de recherche sans murs. Fondé en
1982 par Fraser Mustard, il rassemble plus de
170 universitaires et chercheurs les plus
éminents au Canada et dans le monde.
LInstitut leur permet de développer et
dappliquer leur travail au-delà
dune seule discipline et den
étudier limpact dans un contexte plus
vaste. Les travaux de recherche effectués,
particulièrement en sciences sociales,
débouchent généralement sur un nombre
considérable dapplications
pertinentes.
«Dans
de nombreux secteurs de la santé et de la
compétence fonctionnelle, il existe des
différences entre les pays. Le niveau des
enfants est généralement plus bas dans les
pays où il existe un écart très important
entre les gens en haut et ceux en bas de
léchelle sociale que dans les pays où
le gradient est moins important», affirme
Dan Keating, professeur à lUniversité
de Toronto et président du Programme en
développement humain de lInstitut.
«Ces
caractéristiques se manifestent de
nombreuses façons, notamment dans les
domaines du rendement scolaire et de la
santé. Daprès les preuves à
lappui, il semble que les écarts entre
les expériences faites à un jeune âge,
liés aux différences de condition sociale,
jouent un rôle significatif dans ce type de
résultats. Certains types
dexpériences contribuent, en effet, à
sculpter ou à façonner le cerveau de
plusieurs manières qui rendent
lapprentissage plus ou moins facile par
la suite.»
«En
mathématiques, poursuit M. Keating, comme
dans bien dautres disciplines, ce que
lon fait dès le plus jeune âge a des
répercussions importantes, sans doute parce
que le cerveau est dune grande
malléabilité à ce moment-là; si on
commence à faire certaines choses assez
tôt, on est bien plus avantagé par la
suite.»
LInstitut
canadien des recherches avancées offre huit
programmes dans les domaines suivants :
santé des populations, croissance et
politiques économiques, développement
humain, cosmologie et lois gravitationnelles,
biologie de lévolution, évolution des
systèmes terrestres, science des surfaces
molles et des interfaces, et
superconductivité.
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M.
Case est chercheur à lInstitut canadien des
recherches avancées et professeur à
lUniversité de Toronto. Il a étudié à
lUniversité McGill et a obtenu son doctorat en
éducation à lIEPO (psychologie appliquée).
Actuellement en congé de lUniversité
Stanford, il a également enseigné à lIEPO et
à Berkeley.
Pour obtenir
un exemplaire de ses travaux de recherche, veuillez
écrire à lInstitut canadien des recherches
avancées, 179 rue John, bureau 701, Toronto ON M5T
1X4. Coût des documents de travail : 5 $.
Pour
connaître la date de publication des 78 leçons et
du matériel, veuillez écrire à Sharon Griffin,
Department of Education, Clark University, 950 Main
Street, Worcester, Mass., 01610.