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Septembre 1998

Le défi du français


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Enseigner en français dans le nord

Dans le nord de l’Ontario, les enseignantes et enseignants doivent relever de nombreux défis : grandes distances à parcourir, rareté des ressources et des activités de perfectionnement professionnel, préparations de cours nombreuses et, s’ils enseignent en français, la difficulté de faire parler les élèves en français.

d’Anne Sophie Leduc

Irène Clermont, enseignante originaire de Timmins, revient de Moosonee où elle a enseigné pendant quatre mois à une classe regroupant des élèves de six années d’études différentes.

Malgré l’isolement et les longues heures de travail quotidiennes requises pour compléter la préparation de tous les cours, elle dit n’avoir pas manqué de ressources pédagogiques. Sa classe était équipée d’un télécopieur, d’un téléphone et d’un photocopieur, en plus de films et de musique en français.

Le plus grand obstacle, c’est celui de l’utilisation de la langue française dans la classe. Plusieurs élèves ne parlent français qu’à l’école. «L’influence de l’anglais prédomine. Il faut vraiment créer des moyens de mettre en valeur la culture de langue française. Il faut que les élèves plus vieux interviennent auprès des plus jeunes.» Selon elle, les enseignantes et enseignants doivent trouver des activités qui incitent les enfants à parler en français à l’extérieur de la salle de classe.

C’est aussi l’avis de Lise Gadoury, directrice de l’éducation au Conseil scolaire de district catholique Franco-Nord à North Bay. «Les enseignantes et enseignants n’ont pas les mêmes défis à relever selon les régions», dit-elle. Elle a commencé à enseigner à Kapuskasing avant de s’installer à North Bay. Selon elle, le défi linguistique est plus facile à relever dans une région où le français est la langue d’usage à la maison.

D’après Lise Gadoury, le rôle d’un directeur de l’éducation d’un conseil de langue française est aussi de s’assurer de la qualité de l’éducation et ce, malgré une relative pénurie de matériel scolaire en français. «Il y a moins de choix en français, précise-t-elle. Parfois, les ouvrages proposés par les maisons d’édition ne correspondent pas aux exigences des programmes-cadres. Ce marché n’est pas rentable en Ontario.»

Marcelle Donnelly a passé cinq ans à North Bay à titre de conseillère pédagogique. Elle aussi considère que la préservation de la langue constitue un défi de taille dans la région et que les enseignantes et enseignants doivent travailler avec un minimum de ressources. «Les élèves sont vraiment anglicisés dans la région. On essaie de répondre aux exigences du curriculum avec des élèves qui ne parlent le français qu’à l’école. Les élèves manquent de vocabulaire. Ils ont parfois peine à comprendre ce qu’on dit.»

À son avis, les enseignantes et enseignants apprennent par eux-mêmes à intéresser les élèves à parler français. Leur but ultime est de les aider à mieux comprendre les textes, les directives et le vocabulaire requis pour garantir un apprentissage équivalant à celui des élèves anglophones.

Donnelly affirme cependant que le manque de ressources en français est commun à toute la province et que la situation géographique importe peu dans ce cas. «L’accès limité aux ressources est généralisé, ajoute-t-elle, mais c’est là la réalité d’une minorité.»

PERFECTIONNEMENT PROFESSIONNEL

Les enseignantes et enseignants du nord ontarien doivent relever un autre défi, tout aussi difficile celui-là, soit celui du perfectionnement professionnel. Contrairement à leurs collègues des grands centres du sud de la province, ils doivent franchir de grandes distances pour suivre un cours.

Hélène Koscielniak, surintendante au Conseil scolaire de district catholique des Grandes-Rivières, est responsable des Services consultatifs de langue française de la région. Ce programme provincial destiné à aider les enseignantes et enseignants de langue française à se perfectionner compte cinq conseillers pédagogiques dont le travail est coordonné par le Réseau de formation et de programmation du Nord-Est. Ces personnes appuient le travail des autres conseillers qui œuvrent déjà dans les conseils de langue française du nord-est de l’Ontario.

Les conseillers traversent la région de long en large pour tenir des séances de formation. «Il faut sortir les enseignantes et enseignants de la salle de classe pour les former, dit-elle. Il faut leur laisser le temps de lire un nouveau programme et de le comparer avec l’ancien. Il est difficile de faire de la formation avec quatre journées pédagogiques par année.»

Comme tant d’autres de ses collègues de langue française du nord, elle craint que cette aide devienne également victime des coupures budgétaires. «Les Services consultatifs revêtent une importance capitale, dit Koscielniak. Nous profitons au maximum de l’expertise de ces gens. Il ne faudrait pas qu’on perde cet outil!»

Lise Gadoury abonde dans le même sens. Elle se dit satisfaite que les conseils de langue française puissent disposer de l’appui des Services consultatifs l’an prochain. Elle admet quand même que la tâche qui incombe aux conseillers est ardue. «La coordination de la formation demande énormément de travail dans une région si vaste. Les gens sont continuellement sur la route. C’est épuisant. Il faut établir des priorités en formation. Il y a tellement de nouveaux programmes et on n’a pas le temps de les digérer.»

D’après Nathalie Jacques, enseignante à Marathon, quand on enseigne à l’élémentaire dans une petite communauté, il faut bien connaître le curriculum d’années d’études différentes. Le perfectionnement professionnel est laborieux à organiser dans le nord de la province. «Il faut se déplacer chaque fois et pour les cours d’été, il n’y a pas beaucoup de choix.»

MISE EN COMMUN DES RESSOURCES

Il y a cependant des avantages à travailler dans une vaste région parsemée de petites ou moyennes communautés. À Marathon, le corps enseignant a organisé un système d’emprunt afin de mettre en commun leurs ressources. À North Bay, Gadoury avoue que, même si l’éloignement se fait parfois ressentir, cette situation rapproche beaucoup les éducatrices et éducateurs. Entre conseils francophones de la province, la coopération est grande. Les directrices et directeurs se rencontrent régulièrement pour mettre en commun idées, projets, ressources et demandes de subvention.

Selon Donnelly, il y a heureusement un grand nombre de très bons enseignants et enseignantes francophones dans la région. «On essaie de rehausser la qualité de la langue, c’est stimulant, il y a de l’activité. Ça donne un cachet spécial à notre communauté. Ce n’est pas difficile d’avoir du personnel de qualité qui reste dans la région.»

Malheureusement, il n’en est pas de même partout. Hélène Koscielniak, elle, déplore le fait que les bons enseignants et enseignantes quittent la région de Kapuskasing. «Nous devons constamment former les gens qui arrivent. C’est la même chose pour la direction d’école. Les gens sont à l’âge de la retraite ou ils trouvent des postes ailleurs. C’est un perpétuel recommencement.»