coverfre.jpg (10033 bytes)
Septembre 1998

Écrivez sur ce
que vous aimez


AG00041_.gif (503 bytes) Retour à la table des matières

Pour John B. Lee, poète et enseignant, cela se traduit par écrire sur le hockey, l’histoire, les Beatles, le travail acharné et un amour inébranlable de la terre.

de Julie Mason

«La poésie ayant le sport pour thème traite d’un état de grâce et du sentiment de vivre intensément le moment présent du match», déclare John B. Lee, poète de Brantford, au sujet des nombreux poèmes qu’il a écrits sur le hockey. «On s’entraîne pour atteindre un état de grâce naturelle, mais ce n’est que de temps en temps que l’on réussit à accéder à cet état. Il va de soi que plus l’athlète est doué, plus il atteindra souvent la perfection. En écriture, c’est la même chose. Plus on a de talent, plus on travaille dur et plus on a de chances de vivre des instants de béatitude.»

Lee a connu de nombreux moments de ce genre. Il a publié 22 recueils de poésie, la publication de deux autres recueils étant prévue pour 1998. Son œuvre lui a valu deux prix Milton Acorn People’s Poetry et en 1995, il s’est vu décerner le prestigieux prix Tilden/CBC pour ses poèmes racontant l’histoire d’une communauté noire qui s’est établie dans le sud de l’Ontario.

L’œuvre de Lee témoigne de la diversité de ses intérêts : le hockey, la musique, les Beatles, les petites villes de l’Ontario, le travail pénible, mais empreint de dignité, les agriculteurs et les complexités d’une enfance passée à la campagne.

Bon nombre de ses poèmes rendent hommage aux hommes qui travaillent la terre comme Tom, l’ouvrier agricole de Hired Hands, ou Herb Lee, son grand-père, personnage principal de Variations on Herb. «Mon grand-père était un berger de renommée internationale. Il était respecté et connu pour tout ce qui touchait de près ou de loin à l’élevage des moutons. Mais c’était aussi un grippe-sou, un personnage haut en couleur, difficile à cerner.»

LA POÉSIE À LA MAISON

Même si le «vrai travail» venait toujours en premier, Lee se souvient que pendant son enfance, la poésie occupait une place privilégiée chez lui. «Mon grand-père possédait les œuvres complètes de Tennyson, Browning et Longfellow dans la bibliothèque; elles étaient rangées dans le couloir, à l’étage, tout près de ma chambre. Mon oncle John, qui vivait aussi chez nous, disons plutôt que nous habitions tous sous le même toit, aimait beaucoup les poèmes de Robert Service. Il m’a récemment confié la tâche de retrouver la traduction de Georgics par Dryden, un long poème sur l’agriculture – mon père et mon oncle sont tous deux bergers et l’oncle John avait mémorisé un passage sur l’élevage des moutons.»

Bien des poèmes de Lee parlent de la terre : «L’une des choses les plus importantes que j’ai apprises grâce à la terre, c’est la valeur du travail. La discipline que l’on m’a ainsi inculquée fait de moi un écrivain acharné. Sincèrement, j’aime beaucoup le travail. La deuxième chose que j’ai apprise, et que je considère comme une précieuse leçon, c’est le respect de la continuité. Nous ne sommes que de simples gardiens de cette terre. Elle nous a été confiée et nous nous devons d’y apporter des améliorations.»

Dans Tongues of the Children, son œuvre la plus ambitieuse à ce jour, Lee se penche sur l’histoire des premières communautés du sud de l’Ontario. Y figurent notamment le récit de la Rébellion de l’Ouest qui a eu lieu en 1837 dans la région de London dans le Haut-Canada, l’histoire des immigrants irlandais et le récit de la vie des Noirs dans le Haut-Canada, des années d’esclavage aux années 1850.

Lee s’est inspiré de Harriett Beecher Stowe, auquel il est uni par des liens de sang, pour «creuser dans les premières années d’existence de l’Ontario afin de mettre au jour les histoires rarement contées des opprimés». Il considère ce recueil comme son œuvre à la fois la plus autobiographique et la moins autobiographique : «La moins autobiographique, car elle ne traite pas de ma vie. La plus autobiographique en ce sens qu’elle naît d’une conviction profonde et intime que chaque vie mérite d’être gardée en mémoire, honorée et immortalisée.»

L’INFLUENCE MARQUANTE DE SES PROFESSEURS

Lee s’est mis à écrire des poèmes en 11e année. «Mon inspiration première est venue d’une anthologie de la poésie que j’étudiais à l’école. En la lisant au hasard, j’ai découvert des poèmes sublimes de Dylan Thomas, Alfred Lord Tennyson et John Keats. J’aimais tout particulièrement Coleridge.» L’année suivante, ce fut le tour des poètes canadiens, notamment Irving Layton, qui ont continué à exercer une influence importante sur lui pendant de nombreuses années.

Au secondaire, ses enseignants ont joué un rôle significatif dans sa vie. «M. Cooper, un enseignant que j’ai eu en 12e année, nous a remis une liste d’ouvrages à lire et je m’en suis imprégné dans le plus grand secret.» Mon enseignant de 13e année «a vanté le talent de Leonard Cohen en disant que sa grande force résidait dans l’originalité et la fraîcheur de ses métaphores. Je me souviens d’avoir perçu cela comme un défi et d’avoir délibérément introduit pendant un certain temps un genre d’exotisme dans ma propre recherche de la métaphore.»

Les premiers poèmes de Lee traitaient des Beatles. «Mon premier recueil était vraiment mauvais, mais je ne le renie pas. C’est comme de vieilles photos d’enfance; mieux vaut en rire pour oublier plus vite. J’aime bien le garçon sérieux qui faisait des vers avec Ringo-Pingo. C’était un bon gars. Il adorait les quatre garçons de Liverpool.»

À l’Université Western Ontario, Lee a eu Stan Dragland comme professeur de littérature canadienne. «C’était non seulement un excellent professeur de littérature, mais encore un remarquable éditeur, précise Lee. Il m’a encouragé à écrire, et j’ai été impressionné par sa générosité et ses manières affables. Ce n’est pas un hasard s’il est par la suite devenu éditeur en poésie chez McClelland and Steward. Il a également eu la chance de rencontrer Margaret Avison lorsqu’elle était écrivaine résidante à Western. Ses encouragements pleins d’enthousiasme m’ont beaucoup aidé quand j’étais jeune, impressionnable et sans doute sensible à la critique.»

PROFESSEUR ET ÉCRIVAIN

Pendant de nombreuses années, Lee s’est partagé entre l’enseignement à temps plein et l’écriture. «J’ai enseigné l’anglais et les arts dramatiques au secondaire de 1976 à 1989, dans une petite école de campagne à Waterford... Depuis que je n’enseigne plus à temps plein, je donne des cours de création littéraire à des élèves de tous âges, de la maternelle à la 13e année.»

«J’adapte mes méthodes à l’âge, aux intérêts et aux capacités de mes élèves, explique Lee. Le seul fil conducteur de mon enseignement consiste à lire avant d’écrire. Je m’appuie sur le principe qu’un poème a trois composantes : une forme, un style et un fond. Par forme, j’entends le genre du poème. Le style fait allusion aux éléments d’expression personnelle. Le fond concerne l’expérience du poète reprise dans le poème.»

«Je fais très rarement des suggestions en ce qui a trait au fond, sauf pour dire écrivez sur ce que vous aimez. Si vous n’êtes pas spécialement fasciné par le ciel, ne le choisissez pas comme thème.»

L’inspiration propre à Lee se manifeste dès le début du poème : «Même si je veux écrire sur une expérience particulière, aussi impératif que soit le besoin, j’attends de recevoir la première ligne comme une manne céleste... La métaphore revêt toujours de l’importance pour moi. Lorsque je trouve une métaphore spécialement belle pour un poème, cela enrichit mon expérience d’écrivain.»

Lee est un ardent défenseur de l’écriture canadienne. «J’aime beaucoup, entre autres, Neruda, Heaney, Rilke, Milosz, Szymborska, Hugues, Berry, Brodsky, Yevtushenko. Je n’en oublie pas pour autant Layton, Purdy, Acorn et Birney.»

Comme il le fait si souvent dans ses poèmes, Lee se sert de la terre comme métaphore : «À mon avis, les tomates produites chaque été dans les champs de Chatham sont les meilleures que j’ai jamais goûtées. Pourquoi alors douter que l’on puisse produire aussi quelques-uns des écrivains les plus talentueux au monde?»

There’s No Such Thing as a Good Master

He may have manumitted his favourite slaves.
He may have treated his field hands well.
Bought them baubles in New Orleans.
Spared the taws and the hanging tree.
Let his children love them like cousins.
Suckled his babes at mammy’s breasts.
Allowed them to marry
whomever they wished.
Released the chains that bound them in coffles.
Purchased a few
to save them from the whip
of Simon Legree.
Schooled the house boys who were smart
and sweetened the scamps with candy.
But there is no such thing
as a good master.
If you would own a man
there is no art in argument
will change the fact that you have
collaborated in context with the worst and darkest draconian blot on human blood.
If you would own a man
you owe God an apology.

Extrait de «Kicheraboo, We Are Dying» dans Tongues of the Children,

Black Moss Press, 1996