Objectif sécurité
Les communications numériques
Un cordon ombilical en cas de crise.
du Dre Amy L. Klinger et d’Amanda Klinger
Comme pédagogues, nous envisageons deux utilisations de la technologie. D’abord, elle est pour nous un moyen innovant d’agrémenter une leçon en intégrant une application numérique à un concept existant. Par exemple, nous pouvons demander aux élèves d’utiliser Google Maps pour tracer une carte de l’exploration de l’Atlantique. La technologie peut aussi entraîner un problème de discipline quand elle est une source de distraction, par exemple, quand les élèves utilisent la technologie qu’on leur a donnée pour envoyer des textos au lieu de participer à la leçon. En réalité, nos élèves n’utilisent pas la technologie de manière particulière selon les situations, mais plutôt comme moyen global de percevoir le monde et d’interagir avec lui. Ce niveau élevé d’engagement des élèves ne disparaît ni ne change en fonction de l’avis d’un adulte, soit un avis jugé arbitraire et susceptible de considérer l’utilisation «inappropriée». Les élèves utilisent la même technologie, que ce soit pour communiquer ou comprendre le monde dans lequel ils évoluent.
Étant donné cette impossibilité de dissocier les adolescents de la technologie, nous sommes devant un constat troublant, à savoir qu’une tragédie qui survient à l’école deviendra un événement à portée technologique, et ce, quelle qu’en soit la gravité ou l’étendue. Dans notre analyse, nous ne faisons pas uniquement référence aux tragédies les plus atroces comme une agression à main armée, mais aussi aux perturbations inévitables que vivent toutes les écoles, comme le décès d’un élève, une urgence médicale, un ouragan, un intrus potentiel ou la découverte d’une arme.
Dans le monde incertain qui est le nôtre, il y a deux certitudes : d’abord, que des drames continueront à se produire dans les écoles et, ensuite, que les élèves utiliseront de plus en plus la technologie. Étant donné ces deux réalités, un aspect essentiel, mais souvent négligé, de la planification et de la gestion des crises est l’incidence qu’a l’utilisation de la technologie par les élèves durant les situations de crise. Même si ce concept est vaste et en constante évolution, nous pouvons nous baser sur les notions fondamentales suivantes pour le saisir.
Les élèves se servent de la technologie de façon étonnante face aux drames à l’école.
On pourrait croire que même l’adolescent le plus accro à la technologie, qui publie et partage constamment des gazouillis et des photos de lui-même à #selfie, oublierait pour 30 secondes son précieux téléphone durant une situation de crise à l’école. C’est loin d’être le cas. En fait, il arrive souvent que les adolescents les utilisent encore plus dans ces moments-là.
Il existe de nombreux exemples de ce phénomène. Lors de récents épisodes de confinements barricadés, des élèves ont envoyé les noms des personnes blessées par texto, ont microblogué l’identité du tireur, publié des photos de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU) en train de pénétrer dans la classe, blogué en temps réel sur les événements au fur et à mesure qu’ils se déroulaient, envoyé par Instagram des photos des coupables allégués (souvent de façon erronée) et reçu des demandes d’interviews téléphoniques de la part de médias et, tout cela, pendant que le drame se poursuivait et que les dirigeants de l’école et les forces de l’ordre s’efforçaient de contrôler la situation.
Au cours des minutes et des heures qui suivent une tragédie, les élèves débattent la situation dans Twitter, anticipent les actions de leurs amis, publient leurs opinions dans Facebook sur la gestion de la crise par les autorités compétentes, téléchargent dans YouTube leurs vidéos des événements et activent des sites web consacrés au souvenir des victimes, à la diabolisation des responsables, ainsi qu’à l’expression de leurs réactions concernant le drame.
Comme «immigrants numériques», notre réflexe pourrait être d’essayer d’empêcher ces communications. Toutefois, proscrire la technologie ou confisquer les téléphones cellulaires pendant un événement catastrophique n’est pas faisable (ni même raisonnable) sur les plans juridique, logistique ou éthique et ça l’est encore moins du point de vue de la sécurité.
Les élèves utilisent la technologie (surtout les médias sociaux) d’une façon TRÈS différente des pédagogues.
Il est important de comprendre la différence entre la façon dont les élèves (natifs du numérique) communiquent par rapport aux personnes plus âgées (immigrants numériques). Si une bagarre éclate à bord d’un autobus, il ne viendrait pas à l’idée d’une femme dans la quarantaine d’utiliser les médias sociaux pour en parler immédiatement. Après avoir regagné son domicile saine et sauve, elle en parlera peut-être à sa famille. Pour des adultes plus jeunes (qui ne sont pas aussi immergés dans la technologie que les élèves, mais qui ne sont certainement pas des immigrants numériques), ce fait divers sera bel et bien un sujet à révéler dans les médias sociaux, mais seulement après s’être mis hors de danger. Par contre, la majorité des élèves enverront probablement des photos de l’empoignade par Instagram et leurs impressions au moyen de différentes plateformes. Ils écriront, par exemple, «des gens se battent ds bus #jaipeur #pasrapport #nonmaissérieux #jaiunrdv» pendant qu’ils sont à bord de l’autobus et que la bagarre se déroule sous leurs yeux.
Les téléphones cellulaires sont aussi puissants et plus fonctionnels que les ordinateurs d’il y a deux ou trois ans.
Il est facile de sous-estimer la puissance et les fonctionnalités des appareils mobiles des élèves et c’est l’une des raisons pour lesquelles il est difficile de comprendre toutes les possibilités qu’ils représentent en situation de crise. Ce n’est pas un téléphone que votre élève a en poche, mais un enregistreur, une caméra, un appareil photo, un ordinateur portable, une boussole, un téléavertisseur ET un téléphone.
Par exemple, le dernier iPhone possède un processeur bicœur de 3 GHz, 1 Go de mémoire vive, jusqu’à 64 Go de mémoire de stockage, deux caméras, un microphone, un GPS, ainsi que la connectivité cellulaire et sans fil (Wi-Fi et Bluetooth). À titre de comparaison, il s’agit du double de la puissance de traitement d’un ordinateur de bureau Apple d’il y a 10 ans. Si l’on tient compte de leur capacité d’enregistrement audio et vidéo, de leur connectivité cellulaire, de leur GPS et des accéléromètres, force sommes-nous de constater que les appareils mobiles possèdent davantage de fonctionnalités qu’un ordinateur de bureau doté d’une puissance de traitement similaire. Or, cette technologie puissante est en possession de gens qui peuvent (et qui veulent) se servir, illico presto, et très facilement, de toutes ses fonctionnalités.
Si les élèves ont accès à un outil technologique, ils l’utiliseront, c’est certain.
Tout d’abord, éliminons complètement l’illusion que si nous interdisons à nos élèves d’utiliser leur téléphone pendant les heures de classe, ils ne l’utiliseront pas en période de crise. C’est un raisonnement non seulement naïf, mais dangereux. Même si le téléphone de l’élève n’est pas visible pendant l’examen d’histoire ou la dissection d’une grenouille, interdit ou non, il réapparaîtra durant un événement inhabituel, stimulant ou riche en émotions, et surtout dans le cas d’une tragédie. Il est certain que l’élève utilisera la technologie, sauf si elle n’est pas en sa possession.
Au lieu de se battre avec l’inévitable, tournons-le à notre avantage. Pensez-y : au beau milieu d’un drame, nous avons à notre disposition un outil que les élèves savent déjà utiliser et par lequel ils peuvent rapidement et facilement transmettre des renseignements importants sur ce qu’ils voient, recevoir des instructions sur ce qu’ils doivent faire pour se mettre hors de danger, dire à leurs parents où ils se trouvent et recevoir des commentaires rassurants de l’école au fur et à mesure du déroulement de l’événement. Qui ne voudrait pas de cet outil?
Il existe des façons utiles et appropriées d’utiliser la technologie en cas de crise et il faut l’enseigner.
L’essentiel est de fournir une formation adéquate aux élèves (et au personnel) sur l’utilisation efficace et appropriée de la technologie en situation de crise. Les élèves passeront moins de temps à télécharger des photos des ambulanciers ou à publier des rumeurs sur l’identité des coupables, mais plus de temps à améliorer la qualité de l’intervention de l’école en suivant les directives d’évacuation qui leur sont envoyées par textos ou en informant leurs parents du fait qu’ils sont sains et saufs.
La première étape pour y parvenir est de reconnaître ce qui saute aux yeux. L’école, les élèves et les parents doivent discuter franchement des fonctionnalités et de l’utilisation de la technologie ainsi que de la façon évidente dont elle sera utilisée au cours d’une catastrophe.
Les élèves doivent comprendre ce qu’implique leur utilisation de la technologie pendant une tragédie. Ils doivent surtout comprendre que, ce qui importe, c’est de survivre. Par ailleurs, faire circuler des renseignements délicats peut poser un danger ou avoir des répercussions désastreuses, mais ce sont des risques que la majorité des élèves ignorent dans leur empressement à tenir leurs amis informés. Les élèves doivent aussi comprendre que, si la vaste majorité de l’école texte, microblogue et appelle en même temps, l’infrastructure technologique sera trop sollicitée, ce qui compromettra la capacité du personnel de secours à sauver des vies et mettra tout le monde en danger.
Par contre, l’objectif n’est pas d’effrayer les élèves au point de les forcer à obéir, mais bien de leur permettre d’utiliser toutes les fonctionnalités qu’ils ont au bout de leurs doigts. Il faut former les élèves à appeler le 911 de manière efficace. Ils doivent savoir quand appeler, quelle information fournir et comment réagir. Il faut également adopter des procédures d’urgence et en informer les élèves pour qu’ils sachent comment tenir leurs parents au courant de leurs gestes pendant le déroulement d’un événement, comment se renseigner auprès de l’école dans l’éventualité d’une évacuation imprévue ou rapide et comment trouver les instructions à suivre en cas d’urgence dans le site web de l’école. Comme pédagogues, nous avons la responsabilité de renforcer la capacité de nos élèves à utiliser les outils technologiques en leur possession pour qu’ils puissent réagir de façon appropriée quand surviendra un drame dans leur école.
Amy L. Klinger et Amanda Klinger
Amy L. Klinger est professeure adjointe en administration de l’éducation à l’Université Ashland (Ohio). Elle a été enseignante, administratrice de bureau, directrice d’école et professeure d’université. Auteure d’In Search of Safer Schools, Mme Klinger a effectué des recherches poussées sur la sécurité et la gestion de crise et elle enseigne des cours de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) sur la sécurité à l’école aux forces de police et à des responsables scolaires partout aux États-Unis.
Amanda Klinger se spécialise dans les domaines situés à l’intersection de la sécurité à l’école, du droit et de la technologie. Auparavant suppléante, elle a terminé son diplôme en droit et représente aujourd’hui des clients dans des poursuites civiles et criminelles. Mme Klinger intervient dans le système de justice pour mineurs de la Caroline du Nord au bénéfice de jeunes accusés de crimes et représente les parents dans les affaires d’abus, de négligence et de dépendance. Elle est membre du conseil d’administration de l’organisme Students Against Violence Everywhere (SAVE).
Le tandem mère-fille a donné des présentations dans tous les États-Unis sur l’intimidation, la cyberintimidation, la gestion de crise, les enjeux juridiques de la sécurité à l’école et autres questions portant sur la sécurité à l’école.
En mai, les Klinger ont présenté un projet de recherche initial et de nouvelles procédures de confinement dans le cadre du lancement de la recommandation professionnelle de l’Ordre sur la sécurité dans les milieux d’apprentissage.