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Mars 1998

De la rigueur,
mais pas d'histoire
De la rigueur, mais
pour l’histoire,
on repassera

 

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De la rigueur,
mais pour l’histoire, on repassera

L’histoire comme matière de base se fait mettre au rancart, malgré le fait que les jeunes Canadiennes et Canadiens en connaissent très peu sur leur passé.

de Ludi Habs

Avec les initiatives du gouvernement visant la réforme de l’éducation secondaire, la question de la composition du curriculum d’un élève à la fin de ses études secondaires refait surface. On ne cesse de réclamer plus d’anglais, de mathématiques et de sciences. Mais qu’en est-il de l’histoire?

Nos élèves, les futurs électeurs, électrices et ministres de l’Éducation connaissent très peu l’histoire, surtout l’histoire canadienne.

Les élèves revendiquent leurs droits, mais ignorent tout de leur origine.

Seulement 36 pour cent des jeunes Canadiens savent que 1867 est l'année de la Confédération

Ils ne savent pas pourquoi nous sommes si différents de nos voisins du sud, mais ils partent pour l’Europe munis d’un sac à dos arborant la feuille d’érable rouge vif. Ils ne savent pas trop pourquoi l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) a encore une fois placé le Canada en tête de la liste des meilleurs pays où vivre.

Ils se disent exaspérés par les Québécois, mais ils ignorent pourquoi le Québec insiste pour se faire reconnaître comme société distincte. Ils ne comprennent pas pourquoi, en janvier, le gouvernement fédéral a présenté ses excuses aux autochtones à cause des mauvais traitements infligés aux jeunes autochtones.

Nos élèves ne connaissent rien de tout cela parce qu’ils ne connaissent pas l’histoire. Ils n’ont jamais appris qui nous sommes, d’où nous venons et comment nous avons contribué au développement du Canada et du monde.

L’histoire est négligée

Au cours des deux dernières décennies, l’histoire a été négligée en faveur des cours dits «pratiques». D’ailleurs l’histoire que l’on enseigne est devenue une vision postmoderniste de la culture populaire où Madonna est plus importante que Macdonald.

Pendant l’année où j’ai enseigné en Suisse, j’ai eu l’occasion d’amener mes élèves dans les Flandres, au Pays-Bas, et en France lors du 50e anniversaire de la libération des Néerlandais et de la fin de l’occupation allemande. Une foule d’enfants néerlandais agitant un drapeau du Canada applaudissaient le défilé d’anciens combattants canadiens.

Seulement 35 pour cent savent ce qu'est le Jour J

Mes élèves qui, je le croyais, savaient pourquoi nous nous étions venus là, m’ont demandé ce qui se passait. Or, ils n’avaient aucune idée pourquoi les petits Néerlandais agitaient ainsi le drapeau canadien le jour de l’Armistice.

Pendant la Guerre du Golfe, les enseignantes et enseignants qui avaient accès au courrier électronique ont raconté avec enthousiasme que leurs élèves pouvaient communiquer avec des enfants des quatre coins du monde. Pendant que les missiles Scud de Saddam Hussein pleuvaient sur Tel Aviv, les élèves canadiens pouvaient savoir de première main ce que c’était que de vivre en zone de guerre. Malheureusement, de nombreux élèves ignoraient pourquoi on faisait feu sur Israël en premier lieu.

Échec des jeunes en histoire

L’an dernier, le Dominion Institute a retenu les services de la firme Angus Reid dans le but de déterminer les connaissances de nos jeunes en histoire. Les résultats, publiés le jour de la Confédération, étaient tout à fait misérables. Les jeunes Canadiennes et Canadiens ont obtenu une note d’à peine 34 pour cent.

Seulement 26 pour cent des répondants ont nommé la Guerre de 1812 ou la Révolution et la Guerre de Sécession comme étant l’une des guerres où le Canada a été envahi par les États-Unis.

L’enquête comptait 30 questions sur l’histoire politique du Canada, les relations canado-américaines, la diversité ethnique et culturelle, l’histoire militaire, ainsi que les arts et sciences humaines.

Les journaux ont aussi fait état de résultats semblables. Dans un article paru dans le Toronto Star, l’historien Desmond Morton a dénoncé le fait que l’histoire ait perdu une lutte de 20 ans contre les sciences sociales, l’économie, l’éducation dite morale et autres matières semblables.

Dans la rubrique Talking Point, aussi publiée dans le Toronto Star, Mark Toljagic a parlé d’un de ses amis qui enseigne dans un collège de la région. L’enseignant expliquait à sa classe comment l’aile droite de certains partis politiques luttait pour se démarquer. Devant le regard absent de ses élèves, l’enseignant s’est rendu compte que personne n’avait compris. Finalement un élève lui a demandé pourquoi soudainement il parlait de hockey.

Inaction du gouvernement

Le ministère de l’Éducation et de la Formation et le milieu politique se disent préoccupés par cette ignorance de l’histoire. Mais que fait-on pour y remédier?

Le Dominion Institute a convoqué une réunion pour discuter des résultats du sondage. Les députés ont été invités à y participer pour voir en quoi la réforme de l’éducation pouvait régler le problème. Trois députés seulement se sont présentés à la réunion. L’un d’entre eux, John O’Toole (PC-Durham Est), aurait dit : «Sur une liste de 20 priorités, celle-ci se place au 21e rang.»

Près des deux tiers des répondants savent ce qu’est la Dépression, mais seulement 17 pour cent savent que les «voyageurs» sont les premiers coureurs des bois venus de France au Canada.

 

L’inaction du ministère est aussi inquiétante. Même s’il se dit préoccupé par la question, il a tellement peu fait que je me demande vraiment si l’histoire regagnera un jour la place qui lui revient comme matière de base.

Dans un article publié dans le Hamilton Spectator, Pauline Laing, directrice à la Direction des programmes d’études, de l’apprentissage et de l’enseignement, a insisté sur le fait que l’histoire canadienne constituerait une priorité du nouveau curriculum et serait davantage définie comme matière principale aux paliers élémentaire et secondaire. «Je suis convaincue que l’histoire canadienne constituera une priorité du curriculum au palier secondaire», a-t-elle affirmé.

Seulement 6 pour cent des répondants ont nommé les Beothuks comme étant les autochtones de Terre-Neuve qui ont été chassés jusqu’à l’extinction par les colons européens.

Si tel est le cas, pourquoi n’a-t-on pas formé un groupe distinct en histoire lors des consultations que le ministère a tenues avec de soi-disant experts? Les mathématiques, les affaires, l’éducation physique, la santé et les sciences ont chacune eu droit à leur propre groupe, tandis que l’histoire a été jumelée à la géographie, l’économie, la politique, le droit et la citoyenneté sous la rubrique sciences sociales 1. En fin de compte, le rapport des experts n’a pas donné lieu à une prise de position claire.

Ian Urquhart, correspondant du Toronto Star à Queen’s Park, a même suggéré que le groupe avait porté peu d’attention à l’histoire canadienne, préférant l’amalgamer à d’autres matières sous la rubrique sciences sociales. Il a cependant reconnu que certains membres du groupe étaient contre ce regroupement.

En voie de disparition

La synthèse est terminée et même si elle n’a pas encore été publiée, j’ai su que l’histoire avait disparu en tant que discipline. On l’a placée avec les études canadiennes et mondiales, titre qui regroupe l’histoire, la géographie, l’économie, la politique, le droit et la citoyenneté.

Les études canadiennes et mondiales ont acquis le statut de discipline, mais pas l’histoire. Les autres disciplines comprennent les matières habituelles comme les mathématiques et les sciences. Mais les études autochtones et interdisciplinaires ont elles aussi obtenu le statut de discipline. Non seulement c’est compliqué, mais ça n’a pas sens.

En réponse à un questionnaire de l’IEPO/UT, 63 pour cent des personnes interrogées ont recommandé que plus de cours d’histoire soient obligatoires. Il s’agit d’une hausse par rapport aux 33 pour cent qui avaient répondu la même chose en 1984. Le gouvernement n’est tout simplement pas à l’écoute.

Seulement 14 pour cent savent que Lester B. Pearson est le Canadien qui a remporté le prix Nobel de la paix pour ses efforts dans la résolution de la crise du Canal de Suez et est devenu premier ministre du Canada.

Si l’histoire constitue vraiment une priorité, pourquoi a-t-on agi ainsi lors des consultations? Le nouveau curriculum rigoureux que le gouvernement a promis n’a pas besoin d’un méli-mélo de sciences sociales.

Si on veut assurer un tant soit peu de rigueur, ramenons l’étude de l’histoire, surtout de l’histoire canadienne. Sinon, nos élèves deviendront exactement ce que les critiques du système actuel d’éducation prétendent, soit des têtes bien pleines plutôt que des têtes bien faites.

Ludi Habs est ancien président de l’Ontario History and Social Science Teachers’ Association et chef du département d’histoire et des sciences sociales à la Chinguacousy Secondary School dans la région de Peel. Il était également membre du groupe d’experts en sciences sociales 1. Courriel : ludihabs@pathcom.com.

Le Dominion Institute encourage la discussion sur les droits et responsabilités des citoyennes et citoyens en les invitant à parler de notre passé. Pour la fête du Canada de 1997, l’organisme sans but lucratif a demandé à la firme Angus Reid d’interroger 1 104 Canadiennes et Canadiens âgés de 18 à 24 ans et de leur poser 30 questions sur l’histoire du Canada. Le sondage comprend une marge d’erreur de plus ou moins 2 pour cent, 19 fois sur 20.

Au total, les jeunes ont obtenu une note de 34 pour cent. Ceux qui avaient fait plus d’années d’études ont obtenu de meilleurs résultats, mais ils ont quand même échoué. Ceux qui avaient suivi des cours d’histoire ont obtenu une moyenne de 35 pour cent, comparativement à 29 pour cent pour ceux qui n’avaient jamais suivi de cours d’histoire. Les jeunes Ontariens ont obtenu 37 pour cent, soit 3 pour cent de moins que les meilleurs, les jeunes Albertains.

La différence entre les nouveaux arrivants et les autres Canadiennes et Canadiens était minime. Ceux qui se sont identifiés comme récents immigrés ont obtenu 32 pour cent. Les enfants d’immigrants ont obtenu 37 pour cent et les autres, 34 pour cent.

Seulement 11 pour cent des personnes participantes ont trouvé les questions trop difficiles. Enfin, 40 pour cent ont conclu qu’elles devraient en savoir plus sur l’histoire canadienne.

On peut trouver le questionnaire au complet ainsi que les résultats sur le site web d’Angus Reid à
www.angusreid.com/pressrel/_youthhistorysurvey97/youthhistory_97.htm On peut communiquer avec le Dominion Institute au (416) 368-9627.