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Chaque profession a ses savoirs particuliers. Lélaboration et la reconnaissance de ces savoirs demeurent la clé de toute stratégie visant le professionnalisme. de Stéphane Martineau La création de lOrdre des enseignantes et des enseignants de lOntario est un jalon dans le processus de professionnalisation de lenseignement dans la province. Elle sinscrit dailleurs à lintérieur dun mouvement plus vaste qui se vérifie dans de nombreux pays occidentaux comme les États-Unis et la France. Ce mouvement de professionnalisation prend sa source dans les multiples changements sociaux quont connu nos sociétés et le profond questionnement sur les ajustements nécessaires dans les systèmes déducation afin dinstruire et déduquer les jeunes pour le XXIe siècle. Quest-ce quune profession? Demblée, il faut reconnaître que le terme recoupe un ensemble dactivités bien différentes. Mais, lorsquon parle de professionnels, on pense généralement aux médecins, aux avocats ou aux ingénieurs. Ces professions correspondent en effet à des sortes didéaux-types. Précisons davantage. La littérature spécialisée identifie six caractéristiques propres aux professions. Une profession est une activité intellectuelle qui engage la responsabilité professionnelle. Cest une activité dite «savante», cest-à-dire quelle nest pas mécanique et appelle le jugement et la réflexion. Bien que savante, lactivité professionnelle est tout de même pratique puisquelle ne vise pas la spéculation et le développement de théories. Cette activité sapprend en partie au fil de longues études, le plus souvent universitaires. Le groupe qui exerce cette activité est régi par une certaine organisation et fait montre dune cohésion interne. Enfin, lactivité professionnelle est un service rendu à la société. Reconnaître lexpérience Si lon en juge par ce qui précède, on peut dire que lenseignement est une profession. En effet, lenseignement implique la responsabilité du praticien, il demande une profonde réflexion, il vise un but pratique et sapprend pour une bonne part à luniversité. Par ailleurs, les enseignantes et enseignants forment maintenant un groupe organisé et présentent une certaine cohésion. De plus, à nen pas douter, lenseignement est un service indispensable à toute société. Pourtant, enseigner est loin dêtre reconnu comme une profession à part entière; plusieurs la qualifient de semi-profession. Cest pourquoi on parle depuis plusieurs années dun mouvement de professionnalisation. Pourquoi faire de l'enseignement une profession Le mouvement vers la professionnalisation que lon observe depuis quelques années nest pas sans contradictions, notamment que le professionnalisme semble parfois être un objectif beaucoup plus populaire auprès des formateurs de maîtres quauprès des enseignantes et des enseignants eux-mêmes. En effet, la professionnalisation peut apparaître comme une stratégie des formateurs des facultés déducation en vue datteindre une réelle reconnaissance auprès de la communauté universitaire. Na-t-on pas dit que les facultés déducation étaient «les moins disciplinaires des facultés disciplinaires et les moins professionnelles des facultés professionnelles»? Assurément les facultés déducation nont pas toujours livré la marchandise et les études montrent quune majorité denseignantes et denseignants sont insatisfaits de leur formation. Cest pourquoi le mouvement de professionnalisation de lenseignement nest pas étranger à cette recherche de reconnaissance par les formateurs. Celle-ci passe cependant par la capacité des facultés déducation à offrir une formation jugée satisfaisante, donc professionnelle, qui passe par une meilleure connaissance de la pratique enseignante afin den dégager les savoirs pertinents. Nous rejoignons ici la question des savoirs professionnels. Les savoirs : au cur de toute profession Toute profession reconnue possède des savoirs qui lui sont propres. Ainsi, le développement et la reconnaissance de savoirs font partie de toute stratégie de professionnalisation. Il ne sagit toutefois pas de nimporte quels savoirs. Les savoirs professionnels sont de haut niveau (universitaire). Ce niveau comprend à la fois une dimension que lon peut qualifier de stratégique (contribuant à la reconnaissance sociale du groupe professionnel) et une dimension pragmatique (la capacité dexercer une activité de manière compétente). Or, bien que reposant sur une formation universitaire, la profession enseignante nest pas encore pleinement reconnue. Ce manque de reconnaissance tient en partie au fait que lenseignement na pas su développer un corps de savoirs spécialisés susceptibles dentraîner ladhésion de la société. Ici, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : la structure universitaire qui différencie et hiérarchise formation professionnelle et recherche fondamentale; le mode dassociation du corps enseignant sous forme syndicale plutôt que corporative; labsence de contrôle du groupe des praticiens sur la formation; les modifications de lorganisation du travail allant vers toujours plus de fragmentation des tâches et lapparition de spécialistes qui a eu pour conséquence de réduire le pouvoir des enseignantes et des enseignants quant au discours légitime sur lintervention auprès des enfants. Cette liste est loin dêtre exhaustive. Développer des savoirs pédagogiques Si la professionnalisation de lenseignement ne se résume quà accroître le pouvoir des formateurs ou des enseignantes et des enseignants eux-mêmes, elle ne saurait être réellement valable. Lobjectif ultime doit être plutôt lamélioration de léducation. Or, qui dit amélioration de léducation dit amélioration des éducatrices et des éducateurs. À cet égard, la professionnalisation touche à la fois la formation initiale et la formation continue. La formation initiale seffectue au palier universitaire et prépare à mieux faire face au choc de la classe. On invite les enseignantes et enseignants à se spécialiser dans la création de situations dapprentissage. La formation continue sert plutôt à amener les enseignantes et enseignants à une plus grande conscience de leur fonction. Lun des moyens privilégiés depuis quelque temps semble être la recherche sur lenseignement, notamment dans le champ détude des savoirs dexpérience. Partant du double postulat quenseigner demande plus que de connaître sa matière et que les enseignantes et enseignants acquièrent du savoir dans la pratique même de leur activité pédagogique, ce courant de recherche analyse le développement et la nature de ces savoirs. Lenseignement mobilise plusieurs types de savoirs : curriculaires, disciplinaires, dexpérience, etc. Aux yeux des praticiens, le savoir dexpérience est garant de leur professionnalisme; celui qui fait la différence entre un bon et un mauvais enseignant. Or, le savoir dexpérience est précisément celui sur lequel nous possédons le moins de connaissances. De plus en plus conscients que les enseignants sont les dépositaires de trésors de savoirs dexpérience, les chercheurs tentent de les recueillir afin de sen servir pour la formation initiale et la formation continue. Ce type de recherche est aussi un vecteur de changement dans la pratique universitaire puisquil requiert la collaboration entre praticiens et chercheurs. Cette collaboration se vérifie notamment dans les nombreuses recherches-action entreprises ces dernières années (qui répondent à une demande du milieu), la mise sur pied décoles associées (mieux outillées pour accueillir les stagiaires) et les recherches menées en collaboration (qui associent recherche et formation). Des savoirs de plus en plus spécialisés La profession enseignante a amorcé une longue marche vers la reconnaissance professionnelle et la création de lOrdre des enseignantes et des enseignants de lOntario en est un exemple probant. Évidemment, cette reconnaissance passera par laccroissement du pouvoir des enseignantes et des enseignants sur leur propre pratique et sur la formation de leurs collègues actuels et futurs. Mais, cela ne saurait être suffisant. La reconnaissance des enseignantes et des enseignants à titre de professionnels requiert lélaboration de savoirs pédagogiques spécifiques. Et, dans ce processus, grâce à une solide collaboration entre chercheurs et enseignantes et enseignants, le savoir dexpérience des praticiens savère précieux. Stéphane Martineau est professeur adjoint au département de sociologie et détudes sur léquité en éducation de lIEPO/UT. Il travaille aussi pour le Centre de recherches en éducation franco-ontarienne (CREFO). Il est lun des auteurs de Pour une théorie de la pédagogie : recherches contemporaines sur le savoir des enseignants. |