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Mars 1998

La professionnalisation de l'enseignement
La profession-
nalisation de l'enseignement

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Chaque profession a ses savoirs particuliers. L’élaboration et la reconnaissance de ces savoirs demeurent la clé de toute stratégie visant le professionnalisme.

de Stéphane Martineau

La création de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario est un jalon dans le processus de professionnalisation de l’enseignement dans la province. Elle s’inscrit d’ailleurs à l’intérieur d’un mouvement plus vaste qui se vérifie dans de nombreux pays occidentaux comme les États-Unis et la France.

Ce mouvement de professionnalisation prend sa source dans les multiples changements sociaux qu’ont connu nos sociétés et le profond questionnement sur les ajustements nécessaires dans les systèmes d’éducation afin d’instruire et d’éduquer les jeunes pour le XXIe siècle.

Qu’est-ce qu’une profession?

D’emblée, il faut reconnaître que le terme recoupe un ensemble d’activités bien différentes. Mais, lorsqu’on parle de professionnels, on pense généralement aux médecins, aux avocats ou aux ingénieurs. Ces professions correspondent en effet à des sortes d’idéaux-types.

Précisons davantage. La littérature spécialisée identifie six caractéristiques propres aux professions. Une profession est une activité intellectuelle qui engage la responsabilité professionnelle. C’est une activité dite «savante», c’est-à-dire qu’elle n’est pas mécanique et appelle le jugement et la réflexion. Bien que savante, l’activité professionnelle est tout de même pratique puisqu’elle ne vise pas la spéculation et le développement de théories. Cette activité s’apprend en partie au fil de longues études, le plus souvent universitaires. Le groupe qui exerce cette activité est régi par une certaine organisation et fait montre d’une cohésion interne. Enfin, l’activité professionnelle est un service rendu à la société.

Reconnaître l’expérience

Si l’on en juge par ce qui précède, on peut dire que l’enseignement est une profession. En effet, l’enseignement implique la responsabilité du praticien, il demande une profonde réflexion, il vise un but pratique et s’apprend pour une bonne part à l’université. Par ailleurs, les enseignantes et enseignants forment maintenant un groupe organisé et présentent une certaine cohésion. De plus, à n’en pas douter, l’enseignement est un service indispensable à toute société.

Pourtant, enseigner est loin d’être reconnu comme une profession à part entière; plusieurs la qualifient de semi-profession. C’est pourquoi on parle depuis plusieurs années d’un mouvement de professionnalisation.

Pourquoi faire de l'enseignement une profession

Le mouvement vers la professionnalisation que l’on observe depuis quelques années n’est pas sans contradictions, notamment que le professionnalisme semble parfois être un objectif beaucoup plus populaire auprès des formateurs de maîtres qu’auprès des enseignantes et des enseignants eux-mêmes. En effet, la professionnalisation peut apparaître comme une stratégie des formateurs des facultés d’éducation en vue d’atteindre une réelle reconnaissance auprès de la communauté universitaire.

N’a-t-on pas dit que les facultés d’éducation étaient «les moins disciplinaires des facultés disciplinaires et les moins professionnelles des facultés professionnelles»? Assurément les facultés d’éducation n’ont pas toujours livré la marchandise et les études montrent qu’une majorité d’enseignantes et d’enseignants sont insatisfaits de leur formation. C’est pourquoi le mouvement de professionnalisation de l’enseignement n’est pas étranger à cette recherche de reconnaissance par les formateurs.

Celle-ci passe cependant par la capacité des facultés d’éducation à offrir une formation jugée satisfaisante, donc professionnelle, qui passe par une meilleure connaissance de la pratique enseignante afin d’en dégager les savoirs pertinents. Nous rejoignons ici la question des savoirs professionnels.

Les savoirs : au cœur de toute profession

Toute profession reconnue possède des savoirs qui lui sont propres. Ainsi, le développement et la reconnaissance de savoirs font partie de toute stratégie de professionnalisation. Il ne s’agit toutefois pas de n’importe quels savoirs. Les savoirs professionnels sont de haut niveau (universitaire). Ce niveau comprend à la fois une dimension que l’on peut qualifier de stratégique (contribuant à la reconnaissance sociale du groupe professionnel) et une dimension pragmatique (la capacité d’exercer une activité de manière compétente).

Or, bien que reposant sur une formation universitaire, la profession enseignante n’est pas encore pleinement reconnue. Ce manque de reconnaissance tient en partie au fait que l’enseignement n’a pas su développer un corps de savoirs spécialisés susceptibles d’entraîner l’adhésion de la société.

Ici, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : la structure universitaire qui différencie et hiérarchise formation professionnelle et recherche fondamentale; le mode d’association du corps enseignant sous forme syndicale plutôt que corporative; l’absence de contrôle du groupe des praticiens sur la formation; les modifications de l’organisation du travail allant vers toujours plus de fragmentation des tâches et l’apparition de spécialistes qui a eu pour conséquence de réduire le pouvoir des enseignantes et des enseignants quant au discours légitime sur l’intervention auprès des enfants. Cette liste est loin d’être exhaustive.

Développer des savoirs pédagogiques

Si la professionnalisation de l’enseignement ne se résume qu’à accroître le pouvoir des formateurs ou des enseignantes et des enseignants eux-mêmes, elle ne saurait être réellement valable. L’objectif ultime doit être plutôt l’amélioration de l’éducation. Or, qui dit amélioration de l’éducation dit amélioration des éducatrices et des éducateurs. À cet égard, la professionnalisation touche à la fois la formation initiale et la formation continue.

La formation initiale s’effectue au palier universitaire et prépare à mieux faire face au choc de la classe. On invite les enseignantes et enseignants à se spécialiser dans la création de situations d’apprentissage. La formation continue sert plutôt à amener les enseignantes et enseignants à une plus grande conscience de leur fonction.

L’un des moyens privilégiés depuis quelque temps semble être la recherche sur l’enseignement, notamment dans le champ d’étude des savoirs d’expérience. Partant du double postulat qu’enseigner demande plus que de connaître sa matière et que les enseignantes et enseignants acquièrent du savoir dans la pratique même de leur activité pédagogique, ce courant de recherche analyse le développement et la nature de ces savoirs. L’enseignement mobilise plusieurs types de savoirs : curriculaires, disciplinaires, d’expérience, etc.

Aux yeux des praticiens, le savoir d’expérience est garant de leur professionnalisme; celui qui fait la différence entre un bon et un mauvais enseignant. Or, le savoir d’expérience est précisément celui sur lequel nous possédons le moins de connaissances.

De plus en plus conscients que les enseignants sont les dépositaires de trésors de savoirs d’expérience, les chercheurs tentent de les recueillir afin de s’en servir pour la formation initiale et la formation continue. Ce type de recherche est aussi un vecteur de changement dans la pratique universitaire puisqu’il requiert la collaboration entre praticiens et chercheurs. Cette collaboration se vérifie notamment dans les nombreuses recherches-action entreprises ces dernières années (qui répondent à une demande du milieu), la mise sur pied d’écoles associées (mieux outillées pour accueillir les stagiaires) et les recherches menées en collaboration (qui associent recherche et formation).

Des savoirs de plus en plus spécialisés

La profession enseignante a amorcé une longue marche vers la reconnaissance professionnelle et la création de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario en est un exemple probant. Évidemment, cette reconnaissance passera par l’accroissement du pouvoir des enseignantes et des enseignants sur leur propre pratique et sur la formation de leurs collègues actuels et futurs. Mais, cela ne saurait être suffisant. La reconnaissance des enseignantes et des enseignants à titre de professionnels requiert l’élaboration de savoirs pédagogiques spécifiques. Et, dans ce processus, grâce à une solide collaboration entre chercheurs et enseignantes et enseignants, le savoir d’expérience des praticiens s’avère précieux.

Stéphane Martineau est professeur adjoint au département de sociologie et d’études sur l’équité en éducation de l’IEPO/UT. Il travaille aussi pour le Centre de recherches en éducation franco-ontarienne (CREFO). Il est l’un des auteurs de Pour une théorie de la pédagogie : recherches contemporaines sur le savoir des enseignants.