Roger Welham, EAO, est entré dans sa classe de 11e année de droit canadien avec une certaine appréhension. Il était sur le point de donner une leçon sur les droits et libertés des citoyens en utilisant des exemples tirés de la vie quotidienne pour présenter certains concepts de base de la littératie financière à ses quelque 12 élèves – une exigence qui fait partie d’une nouvelle initiative du ministère de l’Éducation de l’Ontario et vise tous les élèves, de la 4e à la 12e année, et toutes les matières.
«Je n’avais aucune idée de la façon dont mes élèves allaient réagir, a commenté M. Welham, après coup. Je ne savais pas jusqu’à quel point ils étaient informés sur le sujet ni si cela les intéressait. Il se trouve qu’ils en savaient beaucoup et qu’ils étaient curieux d’en apprendre plus.»
L’Ontario n’est pas le seul terri-toire de compétence à reconnaître l’importance grandissante de la littératie financière, que l’on définit par les connaissances et compétences nécessaires pour prendre des décisions financières éclairées. En d’autres termes, les élèves sont tenus d’apprendre les fondements de notre système financier, les conséquences des dépenses individuelles, et l’importance d’épargner et de planifier son avenir financier.
Il y a quelques années, tous les membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le Canada, se sont entendus pour promouvoir la littératie financière dans l’ensemble de leurs populations respectives. La récession mondiale qui a suivi et ses répercussions ont rendu le sujet encore plus important, particulièrement pour les jeunes.
De son côté, le ministère de l’Éducation de l’Ontario a créé un groupe de travail composé de représentants des secteurs public et privé pour examiner la question. En 2010, le rapport publié par le groupe, Un investissement judicieux, recommandait que la littératie financière devienne une composante obligatoire du curriculum de l’Ontario. Le Ministère a plutôt adopté une approche intégrée basée sur le curriculum actuel et, depuis 18 mois, il élabore des ressources pour aider les enseignantes et enseignants à incorporer de manière judicieuse l’enseignement de la littératie financière dans leur classe.
Alors vous voulez devenir artiste?, demande M. Gee à ses élèves. Combien d’œuvres devrez-vous vendre chaque mois pour payer le loyer et l’épicerie? Combien devrez-vous vendre chacune de vos œuvres? Est-ce un prix réaliste? Il ajoute : Être un artiste, cela suppose plus que dessiner et concevoir.
M. Welham, qui enseigne à la Georges Vanier Secondary School de Toronto (Toronto District School Board), fait partie du nombre croissant d’enseignants qui constatent qu’il est tout aussi important de savoir comment se débrouiller dans notre système financier que de saisir l’importance de la Charte canadienne des droits et libertés, par exemple. Le problème, c’est de savoir comment intégrer le plus efficacement possible les principes de la littératie financière à des matières qui, de prime abord, semblent à mille lieues de ce sujet.
Dans sa classe de droit canadien, M. Welham montre comment la Loi sur la protection du consommateur de l’Ontario, tout comme la Charte, établit une série de droits pour les citoyens. «Les élèves doivent connaître leurs droits comme consommateurs, tout comme les pièges à éviter quand ils signent un contrat, par exemple à l’achat d’un téléphone cellulaire ou d’un abonnement à un club de conditionnement physique», explique-t-il.
À l’aide de vidéos téléchargées à partir du site web du ministère des Services aux consommateurs, M. Welham donne un aperçu des principaux points de la loi. Quand il demande des exemples réels des droits des consommateurs concernant l’innocuité ou la sécurité des produits, les élèves lui donnent une série de réponses pertinentes. «Aliments Maple Leaf», dit un élève. «Les freins de Toyota», dit un autre.
«Ils m’ont vraiment surpris, confie M. Welham après son cours. Ils en savaient aussi beaucoup sur les indices de solvabilité et l’endettement. C’était formidable.»
Mais en ce qui concerne la prise de décisions financières rationnelles, M. Welham a remarqué la surprise de ses élèves quand il leur a dit qu’il achète toujours une voiture d’occasion et non une voiture fraîchement sortie de la chaîne d’assemblage. Ils lui ont demandé pourquoi il n’achète pas un véhicule neuf, s’il en a les moyens. «Cela démontre qu’ils ne connaissent pas la dépréciation ni la façon d’évaluer la véritable valeur des choses», selon lui.
Il a aussi profité de la leçon pour soulever une autre question de littératie financière qui concerne directement l’avenir de ses élèves, c’est-à-dire les moyens de finan-cer des études postsecondaires. «Je voulais discuter de l’importance d’épargner, particulièrement au moyen d’un REEE», explique-t-il. Quand M. Welham a demandé à ses élèves s’ils avaient entendu parler des REEE, seulement le quart de la classe environ a levé la main et plusieurs élèves ont avoué n’en savoir strictement rien.
C’est précisément cette lacune en matière de connaissances financières qui menace sérieusement la persévérance scolaire au palier postsecondaire, particulièrement chez les élèves qui proviennent de familles moins bien nanties. En effet, des recherches et des analyses récentes du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES), un organisme ontarien mondialement reconnu, montrent qu’une piètre littératie financière est en fait un obstacle sur le chemin de l’université ou du collège pour ces élèves. Voici d’autres constatations du COQES :
Même si le nombre d’inscriptions dans les établissements postsecondaires augmente en Ontario, le nombre d’élèves issus de familles à faible revenu qui poursuivent des études supérieures stagne depuis 20 ans, malgré une aide financière accrue.
De manière générale, ces élèves tendent à surestimer grandement le coût des études postsecondaires, tandis que tous les jeunes, qu’ils soient issus d’un milieu aisé ou non, sous-estiment les avantages financiers des études postsecondaires.
La moitié des élèves provenant de familles à revenus modestes inscrits à des établissements postsecondaires ne demandent ni les bourses ni les prêts gouvernementaux auxquels ils ont droit.
Pour M. Welham, il est important de renseigner ses élèves sur l’aide financière disponible pour les études postsecondaires parce que nombre d’entre eux sont issus de familles immigrées au Canada. «Ces jeunes sont des mines de renseignements pour leurs parents», dit-il.
La conseillère en orientation de Georges Vanier, Zenobia Omarali, EAO, qui est aussi leader du curriculum pour les initiatives qui concernent l’ensemble de l’école, est elle aussi préoccupée par les conséquences socioéconomiques de l’absence de littératie financière. «L’éducation est le plus grand facteur d’égalité, affirme Mme Omarali, l’une des personnes qui défend le plus ardemment l’insertion de la littératie financière au curriculum de l’Ontario. Mais la plupart des élèves ont du mal à évaluer le coût réel des études postsecondaires et à obtenir l’argent nécessaire. Nous devons créer une culture de sensibilisation financière chez tous les élèves, à toutes les années, pas seulement chez les jeunes sur le point de finir leurs études secondaires.»
Mme Omarali dirige plusieurs projets. Par exemple, elle a des comptes Twitter et Facebook où elle parle des bourses et des concours dans le but de diffuser l’information essentielle sur l’aide financière dans toute l’école.
Pendant ce temps, le Ministère augmente ses efforts pour aider les enseignantes et enseignants à inclure la littératie financière dans le curriculum, surtout dans les écoles secondaires. Même si les enseignants sont responsables de la planification de l’apprentissage quotidien de leurs élèves, le Ministère a publié l’an dernier Portée et enchaînement des attentes et contenus d’apprentissage, un guide sur les ressources pour le curriculum de l’élémentaire et du secondaire (disponible à edu.gov.on.ca/fre/document/policy/FinLitGr9to12Fr.pdf), qui contient des suggestions de stratégies et des ressources. De plus, le site web du Ministère contient un portail sur la littératie financière, dont le menu s’enrichit constamment de liens et de ressources utiles, comme des vidéoclips explicatifs sur une grande diversité de sujets.
Prenons l’exemple du cours de musique de 11e année. Le guide du Ministère pour le secondaire suggère aux pédagogues de questionner les élèves sur une éventuelle carrière musicale et les compétences et connaissances requises pour mener à bien ce projet, puis de leur demander quelles sont, à leur avis, les répercussions financières de l’atteinte de ces exigences.
On peut aussi prendre l’exemple de la géographie en 9e année. Une vidéo à l’intention des enseignantes et enseignants établit un lien entre le pouvoir des consommateurs et la protection de l’environnement.
Grâce à l’appui financier du Ministère, des groupes d’enseignantes et d’enseignants, comme l’Ontario History and Social Sciences Teachers’ Association, élaborent eux aussi des plans de leçon en littératie financière pour divers cours. Par exemple, pour le cours d’introduction à l’anthropologie, à la psychologie et à la sociologie, l’association a conçu dans le cadre d’une unité sur les structures et les institutions sociales un plan de leçon qui aborde les changements dans le monde du travail.
À l’élémentaire, le guide de la 4e à la 8e année révèle que la littératie financière est plus directement liée au curriculum de mathématiques et de littératie des médias. Mais le guide ajoute que des compétences telles que la résolution de problèmes et l’analyse critique enseignées dans d’autres matières sont transférables à la littératie financière.
Tout spécialement, le guide élémentaire suggère, par exemple, qu’une unité en histoire de 4e année compare les structures économiques actuelles avec celles du Moyen Âge. En 7e année, les élèves pourraient analyser le coût et les avantages de diffé-rentes technologies et équipements qui économisent de l’énergie. Entre-temps, le portail sur la littératie financière du Ministère comporte des plans de leçon dans des matières allant du français langue seconde aux arts visuels.
Nous devons créer une culture de sensibilisation financière chez tous les élèves, à toutes les années, pas seulement chez les jeunes sur le point de finir leurs études secondaires.
En effet, les enseignantes et enseignants trouveront de l’aide pour incorporer la littératie financière à presque toutes les matières de la 4e à la 12e année. Comme le fait remarquer les notes du guide au secondaire : «Certaines disciplines et matières se prêtent plus facilement à l’acquisition des connaissances et au développement des habiletés concernant la littératie financière. Cependant, toutes offrent, dans une certaine mesure, des occasions d’intégrer l’éducation à la littératie financière.»
L’enseignant d’arts plastiques de Georges Vanier, Rick Gee, EAO, donne un exemple frappant de la facilité avec laquelle on peut incorporer la littératie financière à ses leçons. Enseignant depuis 30 ans, M. Gee le fait depuis le début de sa carrière. «Je parle constamment des aspects financiers de la vie, dit-il. Et les élèves comprennent.
«Alors vous voulez devenir artiste?, demande M. Gee à ses élèves. Combien d’œuvres devrez-vous vendre chaque mois pour payer le loyer et l’épicerie? Combien devrez-vous vendre chacune de vos œuvres? Est-ce un prix réaliste? Il ajoute : Être un artiste, cela suppose plus que dessiner et concevoir.»
On n’a pas à convaincre des enseignants comme M. Welham et M. Gee de l’importance de la littératie financière. Ils utilisent d’ailleurs des moyens intéressants d’intégrer la matière au curriculum de manière harmonieuse. Quand on le questionne sur les défis que pose le respect des attentes et des lignes directrices du Ministère sur la littératie financière, M. Gee riposte : «Je le fais et même plus. J’espère seulement que le Ministère pourra me suivre.» •
de Michael BenedictRessources en littératie financière
Nombre de sites existent pour aider les enseignantes et enseignants de l’élémentaire et du secondaire à intégrer la littératie financière au curriculum. En voici quelques-uns :
edusourceontario.com – Portail du ministère de l’Éducation sur la littératie financière, le site contient les ressources les plus à jour, dont des suggestions de plans de leçon et des vidéos. N’oubliez pas de visiter la page «Ressources – 4e à 8e année» pour trouver plus de vidéos à l’intention des enseignants de l’élémentaire et du secondaire.
fcac-acfc.gc.ca/fra/educatifs/index-fra.asp – Programmes de littératie financière élaborés par l’Agence de la consommation en matière financière du Canada. Cette agence fédérale est principalement un organisme de réglementation, mais elle a aussi la responsabilité d’informer les consommateurs sur leurs droits et responsabilités à l’égard des produits et services financiers. Son portail de programmes éducatifs comprend certains documents gratuits, dont un programme de 11 modules qui enseigne aux jeunes des compétences financières dont ils se serviront toute leur vie.
sse.gov.on.ca/mcs/fr/Pages/What_Are_My_Rights.aspx – Portail du ministère des Services aux consommateurs sur les droits des consommateurs avec liens vers de brèves vidéos. Le Ministère tient à informer le public sur la législation qui protège les droits et le marché. Bien qu’il n’ait pas de plans de leçon et de modules d’apprentissage, ses vidéos et ses brochures sans équivoque s’adaptent facilement à l’utilisation en salle de classe.
Et pour une mise en contexte : edu.gov.on.ca/fre/Financial_Literacy_Fre.pdf – Rapport de 2010 du Groupe de travail sur la littératie financière. Ce document est l’étude de l’Ontario menée en 2010 par des pédagogues et des cadres du domaine des services financiers qui recommandent que la littératie financière devienne obligatoire dans le curriculum provincial.
edugains.ca/newsite/financialLiteracy/subjectdivisionassociations.html (en anglais) – Ressources additionnelles élaborées en fonction des matières et par association de l’Arts Education Consultants of Ontario et de la Science Teachers’ Association of Ontario (STAO).