Il n’est pas encore 10 h, mais, dans la classe de jardin d’enfants à temps plein de la Prince of Wales Public School de Peterborough, des enfants ont déjà bâti une «maison» qui s’étend sur presque toute la largeur de la salle de classe. Un garçon jette une pile de livres d’images en guise de «bûches» dans le foyer.

À l’autre bout de la pièce, Shelley McLaughlin est assise à une table avec trois élèves. Ils é-ti-rent des mots pour découvrir les syllabes et les sons. Sa partenaire en éducation de la petite enfance, Diane Istead circule dans la classe et se penche pour parler aux enfants.

Si vous croyez que Mme McLaughlin est enseignante parce qu’elle dirige l’activité la plus pédagogique, vous avez tort; elle est éducatrice de la petite enfance (EPE).

Diane Istead, EAO, est enseignante. «Nous considérons toutes les deux que nous pouvons chacune enseigner à un groupe, confie Mme Istead. Mais la situation était bien différente il y a trois ans. Shelley enseigne beaucoup plus maintenant que la première année.»

Quant à Tracy Eyles, EAO, enseignante à l’école élémentaire catholique Frère-André de London, elle a trouvé difficile de confier certains aspects de son rôle d’enseignante à l’éducatrice Alison Daigneault. «Au début, j’étais la seule à enseigner, dit-elle. Je ne demandais pas à Alison ce qu’elle pensait et je ne lui déléguais pas autant de tâches que j’aurais dû. Je pensais alors que c’était moi qui devais enseigner. C’est ce que j’avais toujours fait.»

Mme Daigneault est la seconde partenaire de Mme Eyles en deux ans. «C’est un peu comme se marier une seconde fois, raconte Mme Eyles en riant. On doit définir son rôle, apprendre à connaître l’autre et découvrir comment on aime faire les choses. Cela prend du temps.»

Ces équipes sont encore une nouveauté dans les classes de jardin d’enfants. Il n’est donc pas surprenant que certains aspects de ces partenariats ne soient pas encore au point. Introduit dans certaines écoles sélectionnées en septembre 2010, le programme de jardin d’enfants à temps plein sera offert d’ici septembre 2014 dans toutes les écoles financées par les fonds publics de l’Ontario qui accueillent des enfants du cycle primaire.

Même si l’intention est que les membres d’une équipe d’éducation de la petite enfance travaillent sur un pied d’égalité, il existe des différences du fait même que leurs fonctions et leurs formations ne sont pas les mêmes. Les enseignantes et enseignants reçoivent un salaire plus élevé et, souvent, ils ont fait des études plus avancées. Ils ont plus l’habitude d’être les seuls responsables de l’enseignement et de la planification. Les éducatrices et éducateurs, quant à eux, travaillent moins d’heures et selon un horaire fixe. De plus, même si un document du ministère de l’Éducation énonce clairement qu’enseignants et éducateurs ont le «devoir de coopérer» sur la plupart des aspects de leur pratique, dont «la planification de l’enseignement et l’enseignement aux élèves», d’autres éléments laissent entendre que les enseignants ont des responsabilités plus lourdes quant à l’apprentissage des élèves, à l’efficacité de l’enseignement et à l’évaluation.

Shelley McLaughlin, OCT

Une équipe d’éducation de la petite enfance visite une classe de jardin d’enfants.

Définir les rôles

Mme Daigneault se sent à l’aise de laisser Mme Eyles planifier et enseigner. «Tracy me demande mon avis et elle dit que j’ai d’excellentes idées, affirme Mme Daigneault. Par contre, en ce moment, Tracy a une meilleure vue d’ensemble à long terme de la planification. J’apprends encore des choses comme l’observation et l’évaluation, donc je me concentre sur des aspects plus précis, comme les besoins d’apprentissage de chaque élève.»

Ann Wosik, EAO, de la Twentieth Street Junior School de Toronto, dit que le fait d’avoir la responsabilité des évaluations influe sur la façon dont elle réfléchit aux tâches de chacun, surtout en ce qui concerne l’enseignement. «J’ai l’impression qu’il faut que je m’occupe de la plupart des activités pédagogiques, car c’est moi qui évalue les élèves», dit-elle.

Jim Grieve, EAO, sous-ministre adjoint de la ministre de l’Éducation, Division de l’apprentissage des jeunes enfants, dont l’épouse est enseignante au jardin d’enfants à temps plein, dit qu’il faudra du temps, des périodes d’essai et de la négociation pour que les rôles soient bien définis. «Nous estimons que l’éducateur est un partenaire à part entière, et non un assistant, mais nous n’avons pas tenté de définir entièrement les rôles de chacun, car nous avons anticipé que les éducateurs devront trouver eux-mêmes la meilleure façon de travailler avec les enseignants par le biais d’activités de perfectionnement professionnel, avec notre aide et celle du personnel du conseil scolaire et de leur direction d’école», dit-il.

Même si les rôles avaient été définis le plus clairement du monde, certains aspects pratiques, et parfois émotifs, entrent tout de même en ligne de compte. Par exemple, les éducateurs pénètrent dans un espace que des enseignants peuvent avoir occupé pendant de nombreuses années et qui contient leurs livres, ressources et matériels.

Peut-être Mme Eyles l’avait-elle compris, car elle a voulu aider Mme Daigneault à sentir que cet espace était aussi le sien. «Tracy m’a trouvé un bureau pour que j’aie moi aussi un espace de travail, de dire Mme Daigneault. Mais j’ai tout de suite compris que j’entrais dans sa salle de classe, où son matériel est rangé comme elle le veut.»

Nicole Roome-Smith, EPE, éducatrice partenaire de Mme Wosik, s’est rapidement butée à des difficultés d’ordre pratique. «J’ai beaucoup de jeux, de casse-têtes, de livres et d’autres ressources que j’aimerais utiliser en classe, affirme-t-elle. Mais il n’y a pas de place pour les laisser dans la classe. Je dois les apporter le matin et les remporter avec moi en fin de journée.»

Des défis pour les éducateurs

Les éducateurs n’ont pas été formés pour travailler dans une école. Les bâtiments et les groupes sont plus grands, le personnel est plus nombreux, les acronymes sont inhabituels et les attentes concernant le programme et l’évaluation différentes.

«Bien des choses sont différentes ici, déclare Domenic Vicedomini, EPE, éducateur à la St. Raphael Catholic Elementary School de Sudbury. Au début, j’ai eu du mal à comprendre certaines attentes du programme. De plus, il faut évaluer bien plus souvent les élèves au jardin d’enfants qu’à la garderie.»

L’un des plus grands défis des équipes est la planification. «Les enseignants ont du temps de préparation tous les jours, affirme Mme Roome-Smith. De mon côté, je n’en ai qu’une fois par semaine. »

«J’aimerais faire participer davantage Nicole à la planification, confie Mme Wosik. Mais elle travaille six heures par jour et les enfants sont ici pendant presque tout ce temps. Je ne me sens pas à l’aise de lui demander de travailler en plus.»

De leur côté, en trois ans de partenariat, Mmes Istead et McLaughlin ont trouvé des moyens de relever ce défi. «Nous parlons pendant que nous nettoyons et préparons la classe, explique Mme McLaughlin, de ce que nous avons fait pendant la journée et de ce que nous ferons le lendemain. Puis, une fois par semaine, nous avons une réunion plus longue après le départ des élèves, pendant mes heures de travail. C’est à ce moment-là que nous partageons nos documents et planifions la semaine à venir.»

Ces échanges les ont beaucoup aidées. «Notre planification est basée sur nos observations; ce sont donc deux activités liées. La première année, Shelley écrivait ses évaluations dans son journal de bord et les partageait avec moi au moment de préparer les bulletins, explique Mme Istead. Ça prenait énormément de temps. L’année suivante, j’ai réservé de la place dans mon propre journal de bord pour qu’elle puisse y écrire ses remarques.» Maintenant à la troisième année de leur partenariat, elles écrivent toutes les deux leurs remarques dans le même fichier électronique avec le logiciel de prise de notes OneNote. Quant à M. Vicedomini et sa partenaire Rosemary Tripodi, EAO, ils ont commencé à utiliser Evernote, une application pour iPad. Ils estiment que cela facilite grandement leur planification.

Compétences complémentaires

Malgré tous les défis, les équipes d’éducation de la petite enfance découvrent rapidement tous les avantages de combiner compétences, formation et points de vue. Mme Tripodi dit que M. Vicedomini a joué un rôle essentiel pour l’aider à s’adapter au programme plus basé sur le jeu. «Domenic m’a aidée à offrir un milieu d’apprentissage plus vaste et qui facilite une approche basée sur le jeu, dit-elle. Nous passons aussi beaucoup plus de temps dehors, car Domenic a beaucoup d’expérience avec les activités extérieures.» C’est une bonne chose, car aller dehors semble donner de l’énergie à certains jeunes élèves. «Par exemple, nous avons emmené les enfants faire une promenade afin d’explorer et d’examiner un petit pont. À leur retour en classe, certains ont eu envie d’en construire un en terre glaise», se souvient Mme Tripodi.

L’expérience de Mme McLaughlin a aussi aidé Mme Istead à s’adapter à l’un des changements imposés par le nouveau programme : élaborer des activités d’apprentissage basées sur les intérêts des enfants. «Par exemple, l’activité que nous faisons en ce moment porte sur le caractère, explique Mme Istead. Auparavant, j’aurais commencé par consulter le programme et je me serais demandé ce que je voulais enseigner. Puis, j’aurais prévu des activités conformes aux attentes. Shelley, elle, commence par se demander où en sont les enfants, puis crée des activités liées au programme sur ce qui les intéresse. Le nouveau programme prône cette approche, mais c’est Shelley qui a le plus d’expérience avec cette façon de faire.»

Mme Tripodi se souvient d’une activité de lecture pour laquelle la compréhension des capacités des enfants d’âge préscolaire de M. Vicedomini a été particulièrement utile. Les enfants devaient nommer des actions ou des scènes du début, du milieu et de la fin d’une histoire que Mme Tripodi avait lue à haute voix. L’objectif était de dessiner des images dans des boîtes représentant les différentes parties de l’histoire. M. Vicedomini avait fait remarquer que la motricité fine de certains élèves de leur classe combinée n’était pas suffisamment développée pour dessiner. «J’ai donc travaillé avec les plus jeunes enfants pour qu’ils jouent les différentes parties de l’histoire. J’ai pensé qu’ils s’en souviendraient mieux ainsi», explique M. Vicedomini. Mme Tripodi a immédiatement constaté que le jeu était une bien meilleure approche pour les plus jeunes. «Certains élèves sont réticents à dessiner quand ils commencent l’école, dit-elle. Ils disent qu’ils ne savent pas dessiner. Le fait de jouer l’histoire les a rassurés et ils ont pu atteindre l’objectif, qui était de se souvenir des parties de l’histoire.»

Les éducateurs apprennent aussi beaucoup des enseignants au sujet du programme, de la gestion d’un grand groupe d’élèves et, en particulier, de l’observation aux fins d’évaluation. «Je savais comment rédiger des remarques sur le développement des enfants, mais Diane m’a enseigné comment rendre mes observations plus pertinentes et davantage liées au programme, et elle m’a appris ce qui doit figurer dans le bulletin», affirme Mme McLaughlin.

Selon un sondage mené par l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto (voir les statistiques ci-dessus), 90 pour cent des éducateurs de la région de Peel ont dit que leur formation professionnelle était valorisée et qu’ils étaient presque aussi nombreux à se sentir bien accueillis dans leur école.

Bonne volonté professionnelle

Les éducateurs essaient de trouver des moyens d’aplanir les difficultés. Mmes Roome-Smith et Wosik se réunissent tous les mois avec leur direction d’école et les autres équipes d’éducation de la petite enfance pour discuter de la mise en œuvre du programme. «Nous avons ainsi pu déterminer que les éducateurs voulaient être davantage inclus, déclare Mme Roome-Smith. Par exemple, ils reçoivent maintenant tous les courriels, et leur nom figure avec celui de l’enseignant sur tous les documents envoyés à la maison.»

Mme Daigneault reconnaît que, pour que les partenariats se renforcent, il faudra qu’enseignants et éducateurs fassent preuve de beaucoup de bonne volonté et communiquent ouvertement. Mme Istead est d’accord et ajoute : «C’est important de reconnaître qu’il y aura des divergences d’opinions, mais il faut tout simplement les résoudre.»

Mme Eyles se souvient d’une importante transition en mars dernier. Jusqu’à ce moment-là, les parents qui venaient en classe demandaient toujours à lui parler, même si c’était Mme Daigneault qui ouvrait la porte. Puis, un jour, juste avant le congé de mars, un parent est venu reconduire son enfant à l’école après un rendez-vous. Le parent a parlé brièvement à Mme Daigneault puis est reparti. C’était la première fois qu’un parent ne demandait pas à parler à «Madame» pour une question officielle, un signe clair que les parents comprenaient dorénavant qu’il y avait deux personnes avec qui ils pouvaient parler. «C’était merveilleux, dit Mme Eyles. J’ai senti un énorme poids en moins.»

Quelles que soient les difficultés inhérentes au développement des nouveaux partenariats, Mme Eyles fait valoir que ce sont les jeunes élèves qui en profitent. «Certains enfants sont plus ouverts avec Alison mais réservés avec moi, tandis que d’autres viennent me voir pour tout et parlent rarement à Alison, dit-elle. Je sais que si je n’arrive pas à établir un lien avec un élève, il trouvera l’année longue et difficile. Maintenant, cet enfant a une autre personne avec qui créer des liens. C’est très bon pour les enfants, surtout à cet âge-là.»

Une équipe d’éducation de la petite enfance visite une classe de jardin d’enfants.

Aperçu statistique

Les résultats préliminaires d’un sondage* pluriannuel mené auprès d’enseignants et d’éducateurs de la région de Peel suggèrent que, le plus souvent, ce sont les enseignants qui prennent la direction des classes de jardin d’enfants, et que les enseignants et les éducateurs ont des points de vue divergents concernant le partage des rôles et responsabilités.

* Les résultats préliminaires du sondage font partie d’une étude effectuée par des chercheurs de l’IEPO de l’Université de Toronto sur la mise en œuvre du programme de jardin d’enfants à temps plein en Ontario.

Travaillons main dans la main
Michael Salvatori, EAO

Foire aux questions avec Michael Salvatori, EAO, chef de la direction et registraire de l’Ordre et Sue Corke, registraire de l’Ordre des éducatrices et des éducateurs de la petite enfance.

Q : L’Ordre a des normes d’exercice et de déontologie qui régissent les membres de la profession. Les éducatrices et les éducateurs de la petite enfance sont-ils assujettis à de telles normes?

R : L’Ordre des éducatrices et des éducateurs de la petite enfance de l’Ontario (OEPE) est l’organisme d’autoréglementation établi en vertu de la Loi sur les éducatrices et les éducateurs de la petite enfance (2007) qui réglemente cette profession. Les normes d’exercice de l’OEPE sont semblables à celles de l’Ordre. Les deux organismes mettent d’abord l’accent sur l’engagement envers les élèves. Les normes d’exercice de l’OEPE mettent l’accent sur les besoins des enfants, le soutien selon les différents styles d’apprentissage et la mise en application, dans la pratique professionnelle, de connaissances et théories relatives à l’éducation de la petite enfance. Les deux ordres ont établi des normes relatives au perfectionnement professionnel continu, aux connaissances professionnelles, à la pratique, à la compétence et à la collaboration avec les collègues et les membres de la communauté. Cet engagement envers les élèves que nous avons en commun renforce la collaboration entre les enseignants et les éducateurs de la petite enfance dans les classes de jardin d’enfants à temps plein.

Q : Comment l’Ordre, en tant qu’organisme de réglementation, soutient-il la relation de collaboration que les enseignantes et enseignants entretiennent au sein d’une équipe responsable d’une classe de jardin d’enfants à temps plein?

R : L’Ordre fournit des conseils sur le maintien d’un milieu d’apprentissage sécuritaire et agrée des cours menant à une QA, entre autres. Par exemple, le 4 avril 2013, l’Ordre publiait la recommandation professionnelle La sécurité dans les milieux d’apprentissage : une responsabilité partagée pour guider le jugement professionnel des pédagogues et pour clarifier les pratiques liées à la sécurité des élèves (oeeo.ca→membres→ressources→recommandations professionnelles). L’Ordre a élaboré les lignes directrices du cours menant à la QA Jardin d’enfants (1re partie, 2e partie et partie spécialiste) afin d’améliorer les pratiques professionnelles, et les connaissances et compétences des pédagogues qui enseignent au jardin d’enfants. Tous les cours menant à une QA de l’Ordre sont offerts par des fournisseurs à divers endroits dans la province.

Q : Dans le programme de jardin d’enfants à temps plein, la collaboration est essentielle entre enseignants et éducateurs de la petite enfance. Les deux ordres professionnels collaborent-ils de manière similaire?

R : Au moment de la création de l’OEPE, l’Ordre a fourni son appui en donnant de nombreuses ressources. L’OEPE a également partagé des ressources avec l’Ordre, dont des renseignements au sujet de son projet pilote de leadership, lequel vise à renforcer les capacités de leadership au sein de la profession. La registraire de l’OEPE, Sue Corke, a pris la parole devant le conseil de l’Ordre et j’en ai fait de même devant le conseil de l’OEPE. De plus, j’assisterai au symposium de l’OEPE cet automne. Nous travaillons de concert pour élaborer des documents d’information visant à favoriser une meilleure compréhension mutuelle et une collaboration professionnelle plus étroite entre enseignants et éducateurs de la petite enfance au sein des classes de jardin d’enfants à temps plein.

PHOTOS : KEVIN HEWITT