Les vacances d’été sont dans un mois. Dans la classe de 6e année d’Harriet Simand à la Bishop Strachan School (BSS) de Toronto, sa leçon de mathématiques fait parler d’elle. Règles en main, des fillettes de 12 ans, divisées en groupes de deux, récitent des formules et discutent tout en calculant la masse, le volume et la surface de boîtes en carton aux formes géométriques qu’elles ont fabriquées pour un devoir, selon un plan de cours que leur enseignante a trouvé dans le web puis modifié. Les filles ont fabriqué des boîtes aussi petites que possible afin d’envoyer, par la poste, une seule croustille Pringles à leur directrice d’école, Patti MacDonald, EAO. Aujourd’hui, c’est le jour de l’inspection des colis portant l’étiquette «FRAGILE».

«La juge est arrivée!», dit Mme Simand, EAO. C’est comme si elle avait annoncé l’arrivée de Justin Bieber. Des élèves retiennent leur souffle pendant que la directrice pioche dans le tas de paquets. Une équipe a enveloppé sa croustille dans une boule de coton, une autre a façonné une boîte trapézoïdale, et une autre encore a inséré, dans une boîte rectangulaire, une éponge dont le milieu a été découpé pour épouser les formes de la croustille. Les croustilles sont exposées une par une. La plupart sont intactes, d’autres arrivent en morceaux et celle qui arrive recouverte d’une couche protectrice de beurre de soya gagne une prime de créativité, même si elle est réduite en miettes! Alors que les applaudissements et les sourires donnent un air de fête à la classe, il devient apparent qu’une croustille intacte n’était pas le but de l’exercice. «C’était juste un moyen amusant d’enseigner les dimensions, dit Mme Simand. Il est impossible d’être intimidé à l’idée d’avoir à envoyer une croustille par la poste!»

Marci Ien and Kathy Cuffe, OCT

Harriet Simand, EAO, et ses élèves de 6e année font l’essai de leur nouveau robot dans le laboratoire de l’école.

Harriet Simand a le don de sortir des sentiers battus afin de trouver des moyens de relier l’école au monde réel, à la grande joie de ses élèves. Elle a simulé des tests de relaxation pour calmer l’anxiété de ses élèves en maths, les a escortées à la mairie pour plaider la cause d’un embargo sur les sacs en plastique, leur a fait découvrir les écoles des quartiers défavorisés afin de mieux comprendre la diversité et les a branchées aux sciences grâce à une compétition de robotique. C’est une formule gagnante : l’ancienne avocate plaidante devenue enseignante a gagné, en 2012, le Prix du premier ministre pour l’excellence en enseignement, après que le bureau du premier ministre a été inondé de lettres d’appui de parents et d’anciens élèves. «Si tous les enseignants étaient comme Mme Simand, a dit une ancienne élève, je serais restée à l’école toute ma vie.»

Nombre d’adultes ayant la phobie des maths, Mme Simand était déterminée à cultiver l’amour de la matière chez ses élèves. «Je leur dis que les maths, ce n’est pas une affaire de génétique. Si vous ne comprenez pas, c’est que je n’ai pas bien expliqué.» Elle invite même les élèves à apporter leurs peluches et robes de chambre pour le premier test de maths, durant lequel elle pose une colle impossible et décerne des points à celles qui arrivent à donner une réponse sans perdre leur sang-froid. En quelques mois, il n’y a plus signe de pantoufles ni de peluches durant les tests.

Bientôt, les élèves sont trop occupées à s’amuser pour remarquer qu’elles font de l’algèbre. Armées de leurs tabliers de cuisine, elles mesurent les ingrédients nécessaires pour faire des biscuits, dans le cadre d’une leçon sur les fractions. Après avoir commandé suffisamment de farine pour toute la classe et divisé les filles en huit groupes, Mme Simand leur dit qu’elles ne doivent faire qu’un huitième de la recette. Étant donné qu’une erreur de calcul pourrait ruiner les biscuits – qu’elles feront vraiment et dégusteront –, les filles apprennent vite la valeur de vérifier leurs calculs. Une autre fois, Mme Simand leur a demandé de choisir des meubles pour leur chambre de rêve, puis leur a annoncé qu’il fallait faire les achats à crédit. Les élèves ont dû faire des recherches sur les taux d’intérêt, calculer leurs versements mensuels et le temps qu’il leur faudrait pour rembourser leur dette.

Sa passion pour les maths a donné lieu à une révision des pratiques d’enseignement après que Mme Simand eut codirigé des recherches approfondies sur les ressources en mathématiques. Les pédagogues puisent maintenant dans toute une gamme de programmes (souvent gratuits) au lieu d’un seul, y compris les leçons JUMP SMART (bit.ly/1bJ6t8c) [Certaines leçons JUMP Math sont disponibles en français à http://jumpmath.org/cms/francais.]; les Problem of the Week (problèmes de la semaine) de l’Université de Waterloo (bit.ly/et9O9I), Illuminations du National Council of Teachers of Mathematics (bit.ly/1boT7zu) et l’ouvrage From Patterns to Algebra.«Nous avons relevé des améliorations en maths sur toute la ligne, dans les résultats et l’attitude», explique Mme MacDonald.

Vers le chemin du succès

Mme Simand a ouvert tout grand le monde des sciences quand elle a inscrit ses élèves au championnat de robotique FIRST LEGO League en 2010 – une nouvelle initiative à l’élémentaire pour la BSS. Quand leurs recherches ont dévoilé que les chiens pouvaient sentir une crise d’épilepsie approcher, les filles ont inventé iSnoopy, un nez mécanique contribuant aux prédictions. En compétition avec un grand nombre de garçons, la classe a remporté un prix d’innovation aux finales provinciales. Pour Mme Simand, ce n’est pas une question d’avoir le dessus sur les garçons, mais de voir les filles se joindre à eux. «Les femmes ont fait du chemin, mais on est toujours sous-représentées en maths et en ingénierie. Rien n’empêche les femmes d’accéder aux emplois de haute technologie. Elles peuvent résoudre des problèmes avec autant de créativité.»

Mme Simand encourage les élèves à sortir de leur zone de confort. Par exemple, une de ses élèves écrivait très bien, mais toutes ses histoires se ressemblaient. «Je lui ai dit : ‘‘Écoute, tu sais que tu es de niveau 4, mais je ne te donnerai un 4 que si tu te pousses et essayes quelque chose de nouveau’’.» Un élève de la York School, une autre école indépendante de Toronto où elle enseignait auparavant, avait inondé la classe durant une expérience scientifique et avait fini par obtenir la meilleure note. «Cet enfant avait changé sa façon de penser; il était prêt à prendre un risque, à travailler comme un vrai scientifique. J’essaye de créer un environnement sécuritaire dans lequel tout le monde sait ce que je cherche en matière de pensée et de créativité. Si ça cause un désastre, ce n’est pas important.»

Écolos en herbe

Prendre des risques lui réussit bien, parce qu’elle permet aux élèves de donner leur point de vue sur le contenu des cours. «J’ai une liste de compétences à couvrir, mais la façon de le faire dépend de leur champ d’intérêt, et c’est différent d’année en année.» À la York School, sa classe de 5e année a été atterrée d’apprendre combien les sacs en plastique étaient néfastes dans les océans et aux sites d’enfouissement des déchets. La curiosité s’est transformée l’année suivante en une campagne pour réduire l’utilisation des sacs en plastique.

Les élèves se sont rendus à la mairie pour présenter des dépositions devant quelque 150 leaders de l’industrie, lobbyistes, chercheurs et intervenants, ce qui leur a valu des louanges et l’intérêt des médias. «La présentation de la classe 6S [celle de Mme Simand] était de loin la meilleure, a déclaré Glenn De Baeremaeker, conseillère municipale. Ils étaient éloquents, cultivés et passionnés.» Ils ont élaboré le site banthebagbrigade.wikispaces.com et ont voulu tourner un documentaire. Bien que Mme Simand n’y connaisse rien, elle les a emmenées voir des films et rencontrer un réalisateur. En fin de compte, leur film est sorti au Sprockets, le festival du film international pour enfants de Toronto, et Ban the Bag Brigade s’est même classé finaliste en 2009 pour un prix Livegreen Toronto. «Harriet a enseigné à ces enfants de 11 et 12 ans les compétences dont ils ont besoin pour devenir des agents de changement social», a dit Karen Fancy, la mère d’un élève.

Apprendre sur le terrain

Mme Simand injecte ainsi une bonne dose de réalité dans son enseignement. Au lieu de lire des textes sur les populations immigrantes, ses élèves font du mentorat en 2e année dans un quartier de la ville qui regorge de familles nouvellement arrivées au Canada. «Vous ne pouvez pas valoriser le multiculturalisme et la diversité si vous ne rencontrez pas des gens de différentes communautés pour voir ce qu’ils apportent à la société, dit Mme Simand, ancienne avocate spécialisée dans les droits de la personne. Maintenant, quand les filles entendent des stéréotypes, elles peuvent les contrer.»

Une fois que les filles établissent des rapports avec les jeunes élèves, elles doivent visiter des appartements et des supermarchés locaux pour comprendre comment elles survivraient avec des prestations d’aide sociale à Toronto. «Elles réalisent vite que c’est impossible, dit Mme Simand, mais cela aura pris un sens parce qu’elles auront rencontré des enfants tout aussi intelligents, drôles et créatifs qu’elles, mais qui, toutefois, ont recours à des banques alimentaires. Elles ont un sens aigu de la justice et je pense que l’idée de contribuer à la société et d’avoir une responsabilité se cultive dès le plus jeune âge. Je leur permets d’en faire l’expérience et de tirer leurs propres conclusions. Et c’est pour moi bien plus intéressant de venir au travail!»

Bien sûr, rien de tout cela ne serait possible si Mme Simand n’avait lié des rapports étroits avec ses élèves. «Elle les traite comme des individus compétents», observe Mme MacDonald. Carolyn Ussher, la mère d’une élève, a fait remarquer : «Chaque fois qu’on lui parle, il est évident qu’elle sait inspirer, motiver et enseigner. Ce n’est pas un simple boulot, c’est en elle.»

Mme MacDonald est persuadée que le don de Mme Simand va au-delà de ses leçons créatives dont la pratique est ancrée dans le monde réel. «Avant tout, elle contribue à mettre en lumière la force des filles. Quand elles quittent la 6e année, certaines deviennent des leaders sûres d’elles-mêmes qui croient en leurs capacités et qui veulent communiquer leurs idées parce qu’on les a respectées dans la classe de Mme Simand.

5 étapes pour des tests sans souci

Harriet Simand enseigne une formule simple pour éviter les excès de panique durant un test de mathématiques :

  1. Lisez chaque question jusqu’au bout avant de répondre. (Elle lit tout le test à voix haute.)

  2. Surlignez les mots-clés.

  3. Cochez les questions qui vous paraissent faciles.

  4. Mettez une croix devant celles dont vous n’êtes pas certain.

  5. Répondez aux questions cochées en premier. «Une fois que votre cerveau a traité les questions faciles, passez aux plus difficiles afin d’éviter les frustrations et les blocages.»

des leçons accrocheuses

Comment leur faire aimer l’école? C’est la question qu’Harriet Simand se pose en élaborant un plan de cours. Voici son secret :

Inspirez-vous ailleurs

Mme Simand s’est inspirée d’une émission télévisée sur l’anorexie pour élaborer une leçon sur les ratios et l’image corporelle. Les élèves ont tout d’abord dessiné la silhouette de Barbie et celle de Mme Simand (ou d’une autre enseignante). Elles ont ensuite agrandi la silhouette de Barbie à l’échelle d’une personne réelle pour la comparer avec une vraie femme.

Puisez dans leurs champs d’intérêt

Il est possible qu’elle demande à ses élèves ce qu’elles savent de l’univers ou qu’elle montre des vidéos pour savoir ce qui va piquer leur intérêt. «Si vous trouvez quelque chose qui les passionne, ils prêteront attention.»

Pensez comme les élèves

Au lieu d’éviter les sujets dont elle ne connaît rien (comme la production de films), Mme Simand s’y lance à cœur joie : recherches dans Google, lecture et emprunt d’idées dans une variété de plans de cours en ligne. «Il ne faut pas avoir peur, nous sommes aussi des apprenants.»

Intégrez!

Ce n’est pas un hasard que des projets comme l’embargo sur les sacs en plastique permettent de toucher à de nombreux aspects du curriculum. «Si vous essayez de tout enseigner séparément, vous aurez besoin de 800 jours pour y arriver!»

PHOTOS : ANYA CHIBIS