Lorsqu’il rencontre pour la première fois un étudiant qui a besoin de son aide ou qui désire réaliser un projet avec lui en neuropsychologie cognitive, Guy Proulx, neuropsychologue et professeur au collège universitaire Glendon, ouvre un dossier au nom de l’étudiant, ce qui lui permet, la fois suivante, de reprendre la conversation précisément là où il l’a laissée. Ses étudiants adorent! Cette méthode, il la doit à son expérience clinique des trente dernières années. Si l’on remonte encore plus loin, toutefois, cette attention pour l’autre est un héritage de sœur Jeannette Benoît, l’enseignante qui a le plus marqué sa jeunesse, en 1re année sur les bancs de l’école Saint-Gérard de la paroisse du même nom à Ottawa.

«Quand je pense aux enseignants qui m’ont marqué, c’est d’abord et avant tout à sœur Jeannette Benoît. C’est d’elle que je me rappelle le plus.» Sœur Benoît, originaire du même quartier d’Ottawa que lui – de sa paroisse comme on l’appelait alors – lui a certes appris à lire, à écrire et à compter, mais elle lui a surtout donné une éducation.

«Je connaissais bien la famille Proulx, laquelle était très unie. Le quartier me faisait penser aux petites paroisses du nord de l’Ontario», se souvient sœur Benoît.

Un moment particulier

Cette religieuse, membre des Sœurs de Sainte-Marie, a enseigné à Guy Proulx en 1958, année où il a perdu son père, emporté à 48 ans par un cancer du cerveau, un événement terrible et incompréhensible pour un enfant de 6 ans. Pour l’aider à comprendre la maladie de son père, un de ses grands frères, qui fréquentait l’Université d’Ottawa, lui avait expliqué ce qu’était un examen médical du cerveau.

«Grâce à lui, j’ai appris que cet examen s’appelait un électroencéphalogramme et qu’on avait mis des électrodes sur la tête de mon père; les médecins ont ainsi découvert qu’il avait une tumeur cancéreuse maligne au cerveau appelée glioblastome.» Voilà des mots complexes pour un enfant si jeune. Mais Guy, avec le sérieux qu’impose une situation familiale aussi tragique, a écouté ces explications et les a, en quelque sorte, assimilées.

Guy Proulx

Le professeur Guy Proulx attribue son succès a sœur Jeannette Benoît (dans l'encadré).

À l’école, pour répondre à sœur Benoît qui lui demandait des nouvelles de son père, Guy a expliqué le plus sérieusement du monde l’électroencéphalogramme, les électrodes, le glioblastome. «Elle m’a écouté attentivement. Nous étions en 1958 et elle n’avait jamais entendu le mot “électroencéphalogramme”. Elle a vraiment montré de l’intérêt pour mes explications de la maladie de mon père et elle était très ouverte au fait que je lui apprenais quelque chose, ce qui, pour moi, a été une expérience stupéfiante. Elle m’a ensuite demandé si j’accepterais d’expliquer tout cela à la classe, ce que je fis le lendemain. Je m’en rappelle encore très nettement après un demi-siècle.»

Pour l’excellente pédagogue qu’était sœur Benoît, permettre aux élèves de s’exprimer allait de soi, même si ce n’était guère fréquent à cette époque : «Quand j’arrivais en classe le matin, je donnais la chance aux enfants de se parler entre eux. Je donnais aux jeunes le temps de s’exprimer, de se dire ce qu’ils voulaient se dire et, ensuite, on se mettait au travail. Cela durait peut-être cinq, dix minutes.» Guy Proulx ajoute qu’il voyait aussi sœur Benoît à la maison : «Elle était invitée à certaines rencontres familiales et elle était présente aux funérailles. Je me suis toujours souvenu de ce moment où je lui avais expliqué la maladie de papa et où je lui avais appris de nouveaux mots.»

«Sœur Benoît sera peut-être surprise de savoir qu’elle m’a beaucoup influencé.»

Le quartier d’Ottawa où Guy Proulx a passé son enfance était un environnement chaleureux. «L’école était à deux portes de chez nous. À un coin de rue, c’était le couvent des religieuses où je servais la messe. Dans ce milieu, la bienveillance, le civisme, l’amitié, tout cela transpirait, t’arrachait à toi-même et te faisait regarder plus loin; tu voulais apprendre, te dépasser, grandir. On dit souvent qu’il faut un village pour élever un enfant. C’est absolument ce qui m’est arrivé», ajoute-t-il.

Ces valeurs sûres et stables ont donné au jeune Guy un nécessaire sentiment de sécurité. C’est ainsi qu’il a été admirablement bien entouré à ce moment charnière de sa vie. Si une porte se fermait avec la mort de son père, une autre s’ouvrait toute grande devant lui.

Son enseignante et sa mère

Guy Proulx est également persuadé que sœur Benoît l’a d’autant plus marqué qu’elle travaillait en étroite collaboration avec sa mère, une personne pour qui l’école avait été un vrai coup de foudre dans sa jeunesse. Les deux femmes se connaissaient très bien. Cette collaboration a eu un effet certain sur le jeune Guy.

Au décès de son père, les enseignantes du voisinage se sont mises ensemble. Elles ont payé une dame venue du Québec pour donner des cours de diction à Guy, ce qui lui a permis de gagner des concours oratoires. Une autre de ces femmes a défrayé ses études classiques au secondaire afin qu’il puisse être pensionnaire à l’école Saint-Jean-Marie-Vianney, appelée aussi le Petit Séminaire d’Ottawa. Guy Proulx est catégorique : «Pour moi, tout cela a été un tournant : les cours de diction, l’apprentissage du latin...»

Une influence pour la vie

Alors qu’il était adolescent, Guy est allé travailler durant l’été à l’hôpital Saint-Vincent d’Ottawa, où il a vu nombre de patients au cerveau endommagé ayant peine à parler et à s’exprimer. Aujourd’hui, il se rend compte qu’il a été beaucoup plus ouvert aux personnes atteintes d’un trouble neurologique parce qu’il y avait été sensibilisé par la maladie de son père. «Quand on parlait d’électroencéphalogramme, ça faisait longtemps que je connaissais cela.» Plus tard, en tant que professeur à Glendon, il mettra sur pied un programme de stages pour les étudiants, parce qu’il croit en la valeur, tant pour les étudiants que pour les patients, d’une collaboration entre le système de santé et les établissements d’enseignement.

Guy Proulx

«Je suis persuadé que ce sont les enseignantes que j’ai eues dans les premières années de ma vie, et avant tout sœur Jeannette Benoît, qui m’ont permis de travailler avec des gens exceptionnels durant mes études universitaires.» Guy Proulx parle ici de son travail sur le sommeil et les rêves avec le professeur Joseph-Marie De Koninck, et plus tard de ses études en neurophysiologie avec le Dr Terence Picton.

«On utilisait l’électroencéphalogramme pour prendre les mesures neurophysiologiques en plus du contenu des rêves, se souvient-il. Tu prends une seule seconde, tu la coupes en mille et, en 1977, je pouvais aller voir ce qui se passait à cinq millisecondes et même à 10, 20 ou 300. À l’échelle du cerveau, 300 millièmes de seconde, c’est très long. C’est cela, la neuropsychologie, la neuroscience», explique-t-il. Guy Proulx croit sincèrement avoir été plus ou moins consciemment programmé dès son enfance pour s’orienter dans ce domaine scientifique précis.

L’influence des enseignantes de Guy Proulx a continué de se faire sentir quand, devenu père de famille, il a ressenti l’impérieux devoir de participer activement à l’éducation de ses enfants en soutenant leurs enseignantes à l’école élémentaire et secondaire. Comme il dit, «malgré les agendas de fous que nous avions, mon épouse et moi, on s’est embarqués comme ma mère l’avait fait avec sœur Jeannette Benoît.» Il ajoute que les enseignantes de ses enfants lui ont dit qu’elles pouvaient aisément prédire la réussite d’un enfant : «Cinq minutes dans la cuisine d’un enfant, et on sait si l’enfant réussira».

Il ajoute : «Dans le cas de sœur Benoît, elle sera peut-être surprise de savoir qu’elle m’a beaucoup influencé. Mais c’était aussi le quartier et la période de ma vie. Lorsque je me tourne vers le passé, je réalise qu’une histoire s’est écrite et qu’elle s’écrit toujours, mais ce n’est qu’en rétrospective que je peux vraiment la lire.»

Effectivement, sœur Benoît a été surprise en prenant connaissance des propos de Guy Proulx. «On ne sait jamais ce qui peut résulter de ce qu’on fait. Cela m’a beaucoup impressionnée qu’il pense à moi de la sorte, parce que jamais je n’aurais pensé que ma façon de faire avec les jeunes pourrait avoir des répercussions aussi positives dans la vie de quelqu’un.»

Aujourd’hui, quand Guy Proulx ouvre un dossier de suivi avec un étudiant, il est conscient de poursuivre le travail de son enseignante. «L’éducation, dit-il, c’est comme apprendre à lire une carte géographique : cela donne des repères. C’est ce qui fait que l’on se sent moins dépourvu et qu’on peut mieux vivre sa vie et se développer. Cette chance magnifique que j’ai eue avec sœur Benoît, c’est aussi ce que je cherche tous les jours à transmettre à mon tour à mes étudiants à Glendon.»

français pour l’avenir - de Stéphanie McLean

Professeur, directeur du Centre de santé cognitive de Glendon et membre du Réseau de recherche appliquée sur la santé des francophones de l’Ontario, Guy Proulx fut l’invité d’honneur au Collège Glendon de l’Université York, le 25 avril dernier à Toronto, lors du forum Le français pour l’avenir, organisme à but non lucratif qui motive et encourage les élèves canadiens à apprendre le français et à vivre en français.

Profil de santé Ontariens %
Inactivité physique 49,8
Tabagisme tous les jours 24,5
5 fruits/légumes par jour 61,5
Embonpoint 32,6
Abus d’alcool 19,3

Dans son discours intitulé Santé, cerveau et comportement, M. Proulx a parlé des effets de la santé physique et mentale sur le cerveau et la mémoire. «Une once de prévention implique et évite une tonne de travail», a-t-il fait remarquer.

Une alimentation nutritive et la forme physique ont un effet positif énorme sur la santé mentale. Selon les faits, les Ontariens devraient penser à long terme et avoir la prudence de bien manger et de faire de l’exercice quotidiennement.

En montrant l’espace dans le cerveau associé à la mémoire à court terme, M. Proulx a démontré aux participants du forum que cette région est la même que celle qui est stimulée chez une personne âgée atteinte d’amnésie et chez un enfant de moins de trois ans. «Et pourtant, on ne dit pas que ces enfants sont atteints d’amnésie!», dit-il.

Source : Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, Santé, Statistique Canada et ministère de la Santé et des Soins de longue durée

PHOTOS : JAIME HOGGE